Drawbot#2, le dessin à l'ère post-numérique
Le cycle DRAWBOT explore les mutations du dessin contemporain qui, produit ou influencé par des techniques robotiques, l’intelligence artificielle et les algorithmes génétiques, reconnecte abstraction, imaginaire et matérialité.
D’agrégats minéraux en plantes aliens, et de prototypes en plâtre en impressions photo-réalistes sur papier glacé, notre compréhension traditionnelle de ce qu’est le dessin se trouve largement malmenée. C’est que les recherches des architectes américains Andrew Lucia et Young & Ayata présentées ici, en se concentrant sur les modalités de production propres à l’image numérique, rendent compte des mutations de la notion de représentation en architecture et de la redistribution corolaire de l’information sensible. Drawbot #2 s’ouvre ainsi à une matérialité qui défie tant les conventions et les formes communément admises du dessin d’architecture que la compréhension traditionnelle du rapport qu’entretient ledit dessin au réel.
Dispositif technique, esthétique et conceptuel, le dessin d’architecture est historiquement régi par une série de conventions qui ont régulé la manière dont le réel est saisi, rendu et, dès lors, perçu et projeté. Outil d’une créativité normée, il est — depuis la Renaissance — le medium par lequel se manifeste une pensée constructive sous une forme codifée et quantifée : coupe, plan, élévation aplanissent le monde tridimensionnel sur la table à dessin pour en maîtriser, en transmettre et en reconstituer la complexité à différentes échelles. En se naturalisant, ces modes de représentation ont articulé des régimes scopiques particuliers, une appréhension sensible, une connaissance et une conceptualisation spécifiques du visible. La perspective, en premier lieu, a fondé l’architecture occidentale moderne sur le présupposé d’un espace euclidien et sur celui de la perception rayonnante d’un sujet fixe.
Andrew Lucia et Young & Ayata jouent du potentiel des logiciels de modélisation et de la programmation algorithmique et ce faisant, déjouent les conventions et préconceptions spatiales, esthétiques et épistémiques attachées tant à la représentation traditionnelle qu’à celle numérique. Leurs explorations des mécanismes et des limites de l’outil digital, induisant la diffraction de notre perception, ouvrent l’architecture à une forme d’étrangeté.
Le projet Debased Flowers de Young & Ayata se présente comme une série d’images à différents niveau de zoom sur des espèces florales artificielles. La plausibilité de cet herbier alien — tout à la fois biologique, géologique et digital — est fondée sur la capacité de l’outil numérique à faire émerger d’apparentes caractéristiques matérielles : chaque espèce possède sa propre brillance, une surface rugueuse ou lisse, une pigmentation spécifique… qui ne sont générées que par la résolution du modèle. En altérant cette dernière, les architectes produisent un réalisme étrange, qui révèle l’illusion réaliste du zoom, la rupture d’échelle et la nature réellement fragmentaire du matériau numérique.
Andrew Lucia développe quant à lui des « catalogues de différences » : il explore la capacité de l’outil numérique à décrire des objets à partir de leurs variations locales, prenant ainsi le contrepied de l’appréhension fixe et centrée du monde, et de la description générale et extrinsèque du réel, induite par la perspective. Images ou volumes imprimés, les « catalogues » de Lucia sont autant de visualisations spatialisées de données, établies à partir du calcul des différences lumineuses intrinsèques d’une image ou de courbure d’un objet. Leur familiarité avec les objets mathématiques photographiés en 1936 par Man Ray ouvre l’architecture à cette relation étroite entre « surrationalisme » (Gaston Bachelard) et surréalisme.
« Pour moi, tout l’art abstrait est comme un fragment, comme un agrandissement d’un détail de la nature ou d’une œuvre d’art » écrivait Man Ray. Et c’est la possibilité même de l’abstraction qu’interroge Drawbot #2, son pouvoir évocateur dans un temps où le cryptage du réel par le code permet de saisir nouvellement le monde. La donnée peut se re-matérialiser selon toutes les conventions imaginables, les éléments discrets que sont les bits et les pixels se refondre dans la continuité de la ligne ou dans la brillance du rendu photographique. C’est à l’aune de ces nouveaux régimes esthétiques et conceptuels que l’architecture contemporaine peut nouvellement se projeter.
Si vous n'avez pas encore vu Matrix, dépêchez-vous car, c'est le même principe adapté à l'architecture pour vous coller du numérique plein les mirettes et vous faire apprécier les nouvelles textures de la vision et de ce qu'elle met en place avec le monde connecté.
Maxime Duchamps-Quantique le 8/02/18
Drawbot #2 /Post-Digital Drawing in Architecture & Art -> 24/02/18
Galerie Art[n+1] 96, rue de Cléry 75002 Paris