Le détournement de pèlerinage réussi de Hadi Fallahpisheh
Pour sa première exposition new-yorkaise, Kai Matsumiya présente les travaux de Hadi Fallahpisheh centrés sur le caractère arabe "hadji" qu'il s'est approprié, en jouant avec d'autres significations que les usuelles négatives qui ont surgi ces dernières années.
A l'origine, un hadj est un pèlerin ayant effectué son voyage à la Mecque pour parachever sa formation religieuse, mais depuis les guerre du Golfe, l'armée américaine en a transformé le sens pour dénigrer les populations arabes et du Moyen-Orient. Hadi Fallahpisheh, né en 1987 est un lauréat du programme Bard MFA qui vit et travaille à New York qui a décidé, pour brouiller les cartes, de jouer des constructions sociales du terme à l'œuvre, en y intégrant son histoire personnelle (hadi/hadji) et en jouant avec le graphisme pour mêler peinture et photographie à son idée de réévaluer le terme avec d'autres moyens.
Ce faisant, il agit comme Albert Camus avec le terme "pieds-noirs" et la condition de ceux-ci durant la guerre d'Algérie. Une population d'ex-colonisateurs fuyant la guerre pour se réfugier en France et qui n'était assimilable ni à droite ni à gauche parce que ne rentrant ni dans les schémas des Algériens-Français ou Algériens-Algériens, n'était pas reconnaissable comme entité. Ce qui faisait dire à Camus : Tout est vrai versus Rien n'est vrai (de leurs conditions).
En réfléchissant à son problème, “Hadi,” Fallahpisheh dit ceci : "… le terme qui possède une énonciation et une prononciation proche de mon nom m'offre la possibilité de jouer différents rôles - à la fois comme auteur et caractère fictionnel. Même si je ne suis pas intéressé par l'histoire propre au pèlerin, je peux m'en servir pour sa popularité et parce que ce simple terme oblige les artistes du Moyen-Orient à se positionner. Si je parle d'attente à ce niveau, c'est qu'on m'oblige à être un raconteur de ma soi-disant propre histoire, à toujours y trouver des histoires intéressantes et nouvelles sorties du passé. Alors, je m'en sers comme matière-première, plus intéressé par l'emploi de la culture moyen-orientale comme objet que comme sujet."
Le raconteur d'histoire de Hadi fait preuve d'un humour certain à mettre un point d'honneur à délirer sur sa condition en poussant les choses vers l'absurde, pour mieux souligner la fausseté et l'arbitraire de sa condition. Il emploie les registres du “mockumentary” et de la para-fiction pour œuvrer dans la pop culture, en brouillant les codes à souhait. Du genre en étalant sur une toile question obtuse et réponse du même métal sur “Hadji TimeAli : Un jour Hadji a demandé à un ami l'heure qu'il était. Celui-ci a répondu: il est 14,45 h. Alors Hadji s'est fâché en disant : Mais enfin, à quoi ça rime ? Depuis ce matin, j'ai demandé l'heure à plein de gens, et aucun ne m'a donné la même réponse…"
Fallahpisheh base son travail sur l'emploi de tapis de prière recomposés en jpg et utilisés à raison de six par toile. Le papier révélé est alors travaillé à genoux, comme un simple prieur, mais travaillé aussi bien à la lumière qu'avec des markers ou des crayons. Comme une mise à distance païenne de la religion et de son emploi controversé.
En se protégeant de la dangereuse lumière du monde extérieur, Fallahpisheh nous implore de bien vouloir réfléchir aux dissonances et absurdités de la situation du Moyen-Oriental; un état dans lequel : abstraction, figuration, innocence, violence et tranquillité se chevauchent de l'origine à la sortie de la chambre noire. Le monde y est alors stratifié en couches multiples, allant des figures dans le tapis de prière, aux mots jetés dessus, en passant par les graphes indéchiffrables. Un genre de paraphrase d'Arthur Koestler et de son fameux " Dans le noir, les mots comptent double." Et l'on en arrive à l'accrochage de la galerie où les photos/tableaux, sont exposés verticalement pour évacuer l'emploi usuel du tapis de prière, quand les bracelets de prière, eux, sont accrochés aux toiles et qu'il est fortement conseillé de les égrener. Dans le monde d'Hadi, comme dit précédemment : tout est à la fois vrai et faux.
Giles Dalose le 19/02/18
Hadi Fallahpisheh - Everything is true …
Kai Matsumiya Gallery 153 1/2 Stanton St New York, NY 11211