Bégayer en musique, ou s'autoriser de nouveaux écarts, même inconnus…
Après quelques enregistrements bruts déposés directement sur bande, quasi improvisés, il est cette fois-ci question du résultat d’une année de composition suivies de prises finalisées sur la grande scène de l’Epicerie Moderne. Une co-production des genevois barrés de Bongo Joe Records et du label de chanson perchée Le Saule.
Le résultat est sorti en octobre et s’intitule, pas sobrement du tout : Terrain à mire, une maison rétive, contrainte par le toit. Et ça affole un peu l’imaginaire vagabond. Le titre est laborieux, mais se voulait fertile comme une promenade. On dira qu’il évoque un paysage à considérer sur trois plans : un lieu –le terrain–, un sujet –la maison–, un détail –le toit–.
Ce devait être une première charpente pour la musique des trois alpins : Loup Uberto : Textes, voix, guitare, trois-corde, trois-corde basse (9), radios (6), bombarde préparée, kayamb
Lucas Ravinale : choeurs (3, 6, 7), trois-corde basse, radios (4, 10), harpe préparée, pandeiro
Alexis Vineis : Batterie, percussions, gardon. Mais on y cherche la plus juste bâtardise, sorte d’errance choisie et enfantée sans/avec toute tradition. A parcourir des signes musicaux anciens et confus, qu’aucun testament n’a cédé en héritage, ce disque devrait échouer sans cesse à adopter les usages d’une maison.
Le terrain à mire est un point de visée où la vue va élire un objet à examiner, l’observateur a tôt fait de choisir son objet puisque l’endroit est tout à fait vide, hors une petite maison. On pourrait imaginer qu’il s’agisse d’un plateau de montagne, mais composé uniquement d’une espèce de grand pâturage et pourquoi pas de quelques ifs. La maison est tout à fait seule, peut être au centre du site, et rétive, c’est-à-dire qu’elle s’insurge contre celui qui voudrait la nommer ainsi, une maison. On peut se figurer que ce qui rend la maison rétive est justement le fait qu’elle le soit, rétive, c’est pourquoi nous voyons cette maison contrainte par le toit. L’idée de maison comprend toujours un toit mais c’est ici un toit pénible. La pauvre maison est affectée par elle-même. Le fait de contenir les qualités d’une maison affecte cette maison, c’est pourquoi elle est indomptable. Il s’agirait peut-être d’empoigner n’importe quel toit de n’importe quelle maison pour chanter sa contrainte, puis en rire et pleurer tant qu’on peut.
Alors qu’on essaye de vous vendre du Bashung dont les prises de voix sont atones … du côté du Jura on s’agite pour dire autre chose, autrement. Une musique brute et lancinante, un peu tarabiscotée comme la torsion d’un blues du Maghreb avec des tourneries répétitives et un chant habité comme un mantra, presque incantatoire. Et puis il y un amour pour le verbe, pour les jeux de sonorités et de rythmes qui n’occultent pas une vraie précision et une écriture minutieuse. Reste à vous laisser aller à l’écoute de cette musique. C’est dit (et c’est impec !)
Jean-Pierre Simard le 4/12/18
Bégayer : Terrain à mire, une maison rétive, contrainte par le toit. Bongo Joe/ Le Saule