Un monde rebelle à tous les pouvoirs, par Christian Perrot
Si nous devons faire avec un monde qui marche sur la tête, comme on nous le serine, ce n'est certes pas faute qu'il soit contesté. Chaque jour, sur tous les continents, des milliers de gens manifestent leur opposition à tous les pouvoirs en place, qu'ils soient économiques, politiques, sociaux ou culturels. Le monde bouge plus qu'on nous le dit. Il est impatient. Et de plus en plus rebelle aux pouvoirs. A ceux qui le lorgnent comme à ceux qui l'exercent. Et c’est ce qui est nouveau. Il est à la recherche, à tous les niveaux, d'autonomie. Il doit donc bondir hors du rang des obéissants. Et échapper aux filets que lui tendent les organisateurs de la déroute du monde. Nombreux sont leurs noms, différentes leurs tendances, mais on les reconnaît toujours à ce qu’ils proposent un “cadre”, dans lequel il faudrait que les peuples circonscrivent leurs luttes et leurs exigences, pour avoir une chance de les voir aboutir. Ils sont l’encadrement de l’usine-monde. Ses cadres supérieurs et contremaîtres. Ses juristes et directeurs des ressources humaines. Ses producteurs et metteurs en scène. Et partout, du Chili à la France des gilets jaunes, du Liban à Hong-Kong, les peuples ne veulent plus se contenter de changer la règle du jeu, ils veulent changer de jeu. Et c’est pourquoi ils ont contre eux tous ceux qui se sont joués d’eux. Et entendent bien continuer. Il y a donc contrainte d’inventer. Nécessité de se méfier du passé. Ne rien répéter.
Tels sont les désirs qui font désordre, et déboussolent les institutions, à commencer par celles qui s'imaginaient les porte-parole naturels de la contestation, et se découvrent elles-mêmes contestées de l'intérieur, comme en témoignent la rage impuissante des organisateurs de la Marche des fiertés ou des manifestations contre la loi Travail devant l'existence et l'irruption, qui leur échappent dans tous les sens du terme, de cortèges de tête qui remettent en cause leur monopole sur ce que signifie s'opposer. Ou le glissement des organisations anti-racistes officielles d'une gêne devant la prise de parole par les racisés eux-mêmes à une opposition devenue frontale à l'anti-racisme politique qui les conduit à tenir un discours qu'on a de plus en plus de mal à distinguer de celui de l'extrême-droite. Ou encore l'hostilité déclarée des "féministes" bourgeoises au mouvement #Balancetonporc et à ce qu'elles jugent les "outrances" d'une nouvelle génération qui ne transige plus avec le machisme, fût-il artiste ou "bien élevé".
Les pouvoirs, nous n'en épargnerons aucun. N'avons pas à leur trouver des excuses (que les sandinistes aient fourni le titre d'un triple album légendaire des Clash n'en est pas une à nos yeux). C'est une triste tradition des partis politiques (qu'on pourrait aussi appeler partis pris) de couvrir jusqu'à l'insensé (et donc au monstrueux) les fautes de celui qu'on a fait son champion. Ou celles de ses petits camarades, dont on préfère taire les défauts (le sexisme, par exemple) pour ne pas "rendre service à l'adversaire". Cela ne marche plus. Ou en tout cas de moins en moins. Et c'est une très bonne chose. Le sectarisme, le fanatisme et l'esprit de clocher, s'ils subsistent encore, comme nous en avons la preuve tous les jours, ne font plus envie à grand monde.
Christian Perrot
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