Les transhumances africaines de Gilles Coulon
Lauréat World Press 1997 pour son travail sur les peuples transhumant entre le Mali et la Mauritanie, Gilles Coulon réitère l’expérience 20 ans plus tard, en partenariat avec l’ONG Acting For Life*, en suivant plusieurs groupes d’éleveurs dans leur transhumance entre Fada N’Gourma, à l’est du Burkina Faso, et Kara au Togo. Marchant avec les éleveurs, partageant leur quotidien pendant plusieurs semaines, il a été le témoin d’une mobilité à risques sur des chemins où se côtoient pasteurs, agro-pasteurs et populations locales.
Cette transhumance n’est visiblement pas de tout repos, certaines images, lors du passage de cours d’eau, de fleuve, province de Koulpelogo au Burkina Faso en sont un exemple. Du côté du photographe Gilles Coulon, une forme d’épopée réaliste porte témoignage de ce long périple entre les frontières du Sud du Burkina Faso et du Togo, du Ghana, du Bénin, long ruban formé des animaux qui rejoignent des pâturages plus nourriciers et qui, guidés par les gardiens de troupeau, bergers et éleveurs , parcourent les zones semi arides pour retrouver les pâturages plus verts du Togo.
Travail réalisé sur deux voyages, l’un dédié à la saison sèche, l’autre à la saison humide, et conséquemment sur cet aller-retour entre les zones de pâturages, Gilles Coulon décrit avec sincérité, vérité, ces transhumances et la fierté de ces hommes qui ne semblent jamais se plaindre ni du soleil, ni de la pluie et qui avancent, inexorablement…. Il y a là comme une métaphore de la vie, les obstacles ne manquent pas, le photographe enregistre l’énergie, la tension, la volonté constante des éleveurs qui sont toujours contraints, vigilants, prudents, mais surtout très attentifs. Le passage d’une rivière en donne une belle mesure. On risque sa vie… et ceci est inscrit sans dramatisation, sans les effets qu’une narration se voulant plus démonstrative aurait sans doute appliqué. Une distanciation s’éprend du récit imagé comme pour en souligner les enjeux et les encours, une discrétion d’énonciation respecte les acteurs du direct de la vie, avec délicatesse et sensibilité. Gilles Coulon se coule dans l’image, trouve sa distance, construit son récit, pas à pas, temps à temps, par immersion, épris de la tension physique des corps, des regards…
Ces tensions, attentions font spectacle, en plan large, la photographie les inscrit toujours dans ces cadrages ouverts, propices à donner à l’action son aire naturelle, son déploiement, montrant son ampleur, les gestes quotidiens et les regards. On sent l honnêteté absolue du photographe et son émerveillement, sa talentueuse adresse au courage et au partage de cette part de vie commune, de difficultés et de repos, voulue nécessaire.
Les acteurs de cette transhumance recueillent la part prioritaire de l’affection méritée et de la dignité devant les difficultés de la route. Fondamentalement partagé, ce regard circule entre tous, sans complaisance, en toute humanité. Les cadres de Gilles sont comme les illustrations des romans d’aventure de Jules Verne, il s’y passe quelque chose d’important et de secret, à peine visible, la vie des troupeaux et les actions des hommes.
Et c’est sans doute pourquoi certaines photographies touchent, émeuvent, éveillent la curiosité, forcent l’admiration, une opération d’ordre poétique a pris le relais de la proposition documentaire et descriptive, une chimie opère une forme de fusion distanciée entre le photographe et son sujet, un instant décisif se crée autour de la bonne distance, et du raccourci enchanté que prend son regard, pinceaux sensibles et physiques des présences, transparence des lumières, tons parfois presque pastels…
La légende de la photographie dit un lieu pour situer. « Campement de Ganaga au Togo », saison sèche, est un petit matin de lumière blanche pris dans la poussière du chemin, pastel brun clair, paysage transparent, énergie du regard du personnage avançant vers la gauche, qui traverse le plan, accompagné du retour du bâton sur l’épaule, l’énergie du regard qui interpelle… Se crée donc ce lien où est donné tout le contexte dans la jouissance de sa lumière et l’action du corps du personnage qui dans ce regard établit tout le lien entre le photographe et cette communauté d’hommes et d’animaux…
Il y a aussi « A proximité du village de Tindawombo au Togo,les éleveurs poursuivent leur remontée vers le Burkina Faso » saison humide, trois visages, sous une bâche plastique protégeant de la pluie serrée, de grosses gouttes s’impriment sur la noirceur des visages, l’âme est photographiée en retour, témoignent du pur moment saisi par le photographe, les sourires ne sont pas feints, le temps est partagé et vogue, linéaire et poreux; la présence est établie, renouveau du sentiment d’un pur moment. Je crois qu’au delà de la commande et du reportage, Gilles Coulon a partagé ces voyages, se faisant le chroniqueur, le confident, l’ami des instants de vérités essentielles où la joie illumine le temps photographique, jamais, peut être plus qu’ici, Gilles Coulon ne semble avoir été plus juste dans sa photographie et plus heureux dans ces partages. Une paix irradie ces photographies. et c’est bien cette paix, droiture du dispositif photographique et définition du projet, qui s’échange sur les murs de la galerie, par l’accrochage parfaitement équilibré et la présence limpide et aguerrie de ces cowboys africains, indéfectibles dans leur présence.
Ici point d’Ouest américain, juste le long cours d’une transhumance Mobilité à risques dans une Afrique de l’Ouest, où Acting for life développe un programme en soutien de l‘agro pastorialisme. La mobilité du bétail constitue pour les populations pastorales et agropastorales une « stratégie de base pour gérer les déséquilibres saisonniers. » C’est pourquoi Gilles Coulon dit : « C’est sur la notion de mobilité, que j’ai axé mon travail, j’ai partagé durant des semaines la vie des éleveurs, leur marche, leurs difficultés à se déplacer dans un environnement de plus en plus hostile, de plus en plus dangereux. »
Pascal Therme
Né en 1966, Gilles Coulon est membre du collectif Tendance Floue. Entre 1990 et 2002, en parallèle d’une collaboration régulière avec la presse (Libération, le Monde, Géo ou Télérama), il puise en Afrique les sujets de plusieurs années de reportage. La rencontre avec le Mali donne naissance à plusieurs histoires photographiques. Avoir 20 ans à Bamako ( embrasse l’énergie de la jeunesse malienne, un livre est publié aux Éditions Alternatives. Delta plonge dans les méandres des habitants des rives du fleuve Niger, et en 1997 Un président en campagne suit la tournée électorale d’Alpha Oumar Konaré. La même année il obtient un World Press Photo pour son travail sur les peuls transhumant entre le Mali et la Mauritanie. voir suite sur…http://tendancefloue.net/gillescoulon/bio/
*L’ONG Acting for Life a développé depuis une dizaine d’années plusieurs programmes d’appui à l’agropastoralisme qui ont bénéficié à plus d’un million de personnes dans différents pays d’Afrique de l’Ouest.