Samuel fuller, 20 ans déjà

Mémorable figure cinématographique qui a fait, avec Robert Aldrich et Nicholas Ray, la transition entre le cinéma des studios et le Nouvel Hollywood, Samuel Fuller dont on connait plus le visage que l'œuvre est à l'honneur en ce début 2018, avec une rétrospective jusqu'en février à la Cinémathèque et la sortie en dvd du A Fuller Life réalisé par sa fille. 

Samuel Fuller dans son appartement de Montmartre en 1965 (Chrisam Films).

Vingt ans déjà après la disparition par forfait (physique) de Samuel Fuller, on peut le retrouver comme figure à la fois centrale de l'évolution du cinéma et personnage soigneusement extérieur à la gloriole hollywoodienne. Cela l'a quelque peu desservi dans son travail à toujours trouver des montages financiers pour envisager/écrire, produire/réaliser ses films, tout en lui assurant auprès du nouveau cinéma des 60's, une notoriété (et des apparitions) sans faille autant auprès de la Nouvelle Vague d'ici qu'auprès de Wenders ou des débuts de Cimino, Coppolla, Scorsese et consorts. Ainsi, dans A Fuller Life, on croise une quinzaine d’artistes ayant connu de près ou de loin Samuel Fuller (James Franco, Tim Roth, Joe Dante, William Friedkin ou encore Wim Wenders) lisent des passages de l’autobiographie que le cinéaste avait publié avant sa mort Un troisième visage : le récit de ma vie d’écrivain, de combattant et de réalisateur, paru en France en 2011 aux éditions Allia.

Ce récit à la première personne est entrecoupé de certaines scènes de ses films qui entrent en résonance avec ses expériences personnelles et surtout d’images en 16 mm inédites tournées par Samuel Fuller pendant la Seconde guerre mondiale. Car le cinéaste pour qui « la guerre est une folie organisée », voyait aussi dans son engagement « l’opportunité de couvrir le plus grand crime de l’histoire ».

Wenders lisant des extrait d'Un troisième visage dans A Fuller Life

Vendeur de journaux à 13 ans, reporter de fait divers à 16, romancier à 22, puis scénariste à Hollywood, il abandonnera le confort auquel il était parvenu pour s’engager dans l’armée en 1941 après Pearl Harbor. Au sein de la fameuse Big Red One, la première division d’infanterie de l’armée américaine, il participera au débarquement en Afrique du Nord, combattra en Sicile avant de débarquer à Omaha Beach et d’avancer vers l’est où la découverte des camps de la mort le marquera durablement.

« Mon père est le seul réalisateur à avoir débarqué en Normandie et à en avoir fait ensuite un film », relate en préambule du documentaire que lui a consacré sa fille Samantha, faisant allusion à son film le plus autobiographique mais aussi le plus connu The Big red one (Au-delà de la gloire).

Malgré plusieurs films avec la Fox de Darryl Zanuck, le seul mogul qu'il respectait, Fuller demeurera toujours et volontairement un outsider à Hollywood. Peu disposé à faire des compromis, il déclinera beaucoup de projets, d'offres de grands studios, préférant la liberté artistique à l'argent et à l'obligation de raconter des fariboles au public. Il a souvent refusé de caster John Wayne, l'aura mythique du Duke ne cadrant pas avec le réalisme modeste et sec de ses westerns. Fuller a des pages superbes sur Marilyn, dépeinte comme une amie chère, intelligente et sans chichis pour qui il n'a jamais pu écrire un rôle : il n'y avait pas de place pour la légèreté poupoupidou dans l'univers dur et sombre de Fuller.

Shock Corridor de Samuel Fuller 1963

Malgré d'inévitables échecs, Fuller a réussi à maintenir son intégrité, montrant la guerre (J'ai vécu l'enfer de Corée, Au-delà de la gloire qu'il a mis plus de vingt ans à mener à bien), évoquant l'homosexualité (La Maison de bambou), le racisme (The Crimson Kimono), le colonialisme (China Gate) la folie (Shock Corridor). Souvent, ses films pâtirent des agendas idéologiques des critiques qui y voyaient des brûlots tantôt gauchisants tantôt fascisants. 

Son passé de journaliste criminel, son exploration de l’Amérique pendant la grande dépression, ses reportages sur le Ku Klux Klan et sa « névrose de la guerre » qui le hantera longtemps sous forme de cauchemars, irriguent une œuvre cinématographique originale et encore trop méconnue que la Cinémathèque propose de redécouvrir. Avec des scénarii sans faille, des explorations de l'humanité dans toutes ses crises, une vitale envie de démocratie et un anti-facisme vécu au quotidien et une vision  décillée de celui-ci,  jamais dogmatique Fuller aura été le passeur d'un cinéma d'auteur (et pour cause!) qui n'en finit pas de résonner encore aujourd'hui. Son Park Row sur la presse vécue de l'intérieur, le monstrueux Shock Corridor sur l'enfermement, voire The Big Red One sur la guerre comme ultime saloperie ou le précoce La Maison de bambou sur l'homosexualité, beaucoup de choses à voir ou revoir, le choc persiste et le cinéma en sort grandi,  dans une époque régressive de studios seulement capables de générer du cash avec des blockbusters… Trump le  Monde ? 

Maxime Duchamps le 9/01/18

A Fuller Life de Samantha Fuller, éditions Carlotta 

Un troisième visage (Allia), traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Hélène Zylberait, 608 pages

La rétrospective de la Cinémathèque, c'est ici