Moondog revu et réinterprété par Amaury Cornut et Minisym
De non reconnaissance en déconvenues diverses , l'américain Louis Harding, dit Moondog, avait fini par s'exiler en Allemagne où il a terminé sa vie, entouré de gens passionnés par son œuvre. Et passionné (par ce passeur aussi surnommé The Bridge) il y a de quoi l'être, car on n'en finit pas de le redécouvrir à la frontière/sans frontière en ancien et moderne, avant-garde et médiéval.
Avant les minimalistes et Arvö Part, il tanguait déjà sur les registres musicaux, avec ses compositions et une œuvre à nulle autre pareille, offrant des expériences musicales inédites et forte en tension, pour le spectateur ou l'auditeur qui découvrait cet univers aussi conséquent que foisonnant. Aujourd'hui, Amaury Cornut et l'Ensemble Minisym lui rendent hommage avec leur relecture pointue. Laissons-leur la parole.
« J’aime écrire de la musique de chambre et chorale, en particulier pour orchestre. Mais puisqu’il est souvent difficile de faire jouer ces pièces orchestrales, c’est l’orgue qui offre alors au compositeur les plus vastes ressources sonores. », écrivait Moondog en 1978 pour accompagner l’album Selected Works – confidentiel cousin américain de Moondog in Europe le premier disque enregistré en Allemagne.
Avec New Sound, l’Ensemble Minisym fait le chemin inverse, emportant les pièces pour orgue(s) qui constituent l’album A New Sound of an Old Instrument (1979) – ainsi que des pièces composées en Europe durant cette même période – vers une instrumentation nouvelle et singulière. Le travail de l’Ensemble se base alors sur une grande connaissance de l’univers de Moondog qui a lui-même – et tout au long de sa vie – régulièrement donné de nouvelles couleurs à de mêmes compositions en changeant leurs instrumentations. Ce qui est d’ailleurs particulièrement manifeste au sein de l’album A New Sound of an Old Instrument dont la première face est constituée de pièces essentiellement composées au milieu du tumulte des rues de New York et marquées par une incroyable science du métissage (« Oasis », « Single Foot ») quand la seconde fait la part belle à de nouvelles compositions inspirées par ce sol européen que Moondog foule depuis peu et de manière désormais définitive (« Barn Dance », « Elf Dance », « Log in B »). Empruntant des chemins de traverse, les musiciens de Minisym déchiffrent par ailleurs des pièces jusque là inédites, parfois jamais jouées, ni même enregistrées par Moondog (« Logrundr in A », « Ground in D minor », « Marche Funèbre (Vercingétorix) », « Shneeflocken »).
Né en 1916 aux États-Unis et mort en 1999 en Allemagne, Moondog était un pont. Un pont entre le Nouveau Monde et l’Ancien Monde. Les pieds solidement ancrés en Amérique et le cœur indéniablement plus proche de l’Europe. À tel point qu’il lui arrivait de se définir lui- même comme étant un Européen en exil. De cette double identité va naître ce qui fait la singularité de son œuvre, ce mélange rare et sincère entre les canons de la musique baroque et les pulsations tribales des danses indiennes. Un pont, donc, entre les époques, « Today is yesterday's tomorrow, which is now ». Guerrier du Grand Nord au milieu des cols blancs de Manhattan. Beatnik avant les beatniks et clochard céleste de la première heure. Compositeur classique des temps modernes, son minimalisme, sa musique contemporaine s’inspiraient des schémas d’écriture du Moyen-Âge et de la Renaissance.
Le siècle dans lequel il est né, il l’a traversé de part en part, en laissant derrière lui un millier d’œuvres écrites pour des dizaines d’instruments allant de l’orgue à l’ordinateur. Un pont, alors, entre les esthétiques. Ce n’est pas vraiment de la musique classique ; sur les plans mélodique et harmonique peut-être ses compositions empruntent-elles à l’écriture classique, mais les procédés rythmiques, eux, sont nouveaux. Pas vraiment du jazz, car même les soli de saxophones sont strictement composés, en des phrasés qui rappellent l’improvisation certes, mais qui s’avèrent écrits en contrepoints. Ce n’est pas vraiment de la pop non plus, car derrière chaque mélodie simple et naïve se cache en réalité une incroyable complexité qui naît justement de cette science du métissage dont il a fait le fer-de-lance de son travail. En définitive Moondog était un architecte. L’architecte d’une œuvre unique.
Une œuvre qui reste encore trop souterraine et très rarement jouée, ce qui est probablement dû à l'absence de réel travail d'édition des centaines de partitions qu'il a laissées derrière lui (dont certaines sont aujourd'hui encore dans leur braille d'origine), ou à cette volonté forte de ne pas choisir entre le savant et le populaire et à se jouer des étiquettes. Mais grâce à la persévérance de quelques passionnés, le monde redécouvre enfin ce précurseur génial. (Amaury Cornut, 10/17)
Chaque lecture ou ressortie d'un album de Moondog méritant votre intérêt, on ne saurait trop vous en conseiller l'écoute … Une écoute à suivre de quelques autres précédentes productions devant figurer dans toute bonne discothèque ( je dis cela, j'avance sur du velours…) Moondog 2, H'art Songs, et More Moondog, servant juste d'introduction. Chaque nouvelle petite fenêtre s'ouvrant faisant sens, on vous souhaite d'en découvrir au plus tôt l'architecture, un peu à la Hundertwasser. Superbe.
Jean-Pierre Simard le 8/01/18
Moondog New Sound - Ensemble Minisym - Bongo Joe