Mondo Reverso : le vrai est un moment du faux dans ce western transgenre
Régler les problèmes par la discussion, la psychologie: c’est bon pour les hommes. Les femmes, les vraies, règlent leurs embrouilles à coup de Winchester. Bienvenue dans Mondo Reverso, un western qui exhale la progestérone en marchant sur la tête des conventions…
Le monde du western inversé, société du spectacle oblige, est l'idée barje, mais terriblement réjouissante qu’appliquent Arnaud Le Gouëfflec et Dominique Bertail dans ce Mondo Reverso : les mâles, toujours barbus, portent des robes, font le ménage et animent les saloons. Les filles, elles, portent des armes et des pantalons, et font régner leur loi. Tout est donc comme dans un western classique, duels, indiens, trésor dans le désert, attaque de train ou de diligence, tord-boyaux au comptoir… Sauf que les questions de genre sont au coeur des mésaventures de nos héros – une outlaw tête brûlée, et un homme rêvant d’autres choses que de broderies.
Premier western « transgenre », parue d’abord en épisodes dans Fluide glacial avant de devenir un gros volume, Mondo reverso ne tord pas le cou aux clichés: il leur met la tête à l’envers. Dans un contexte où le harcèlement, les rapports hommes/femmes mais aussi la place des gays dans notre société suscite chaque semaine de nouveaux débats, cet album fait un bien fou. D’abord parce que son humour anticonformiste et son rythme élevé en font un album que l’on dévore. Aussi parce que l’inversion des rôles souligne le ridicule de la domination hypothétique d’un sexe sur l’autre.
Certes, le XXIe siècle n’est pas aussi sauvage et brutal que l’Amérique de la conquête de l’Ouest. Mais les questions sur le harcèlement, celles sur l’acceptation des lesbiennes, des gays, des bisexuelles, des trans, restent ô combien clivantes. Cette histoire, comme un miroir déformant, nous renvoie une image peu reluisante de notre société. Irréversible?
Pour mettre en scène cet univers absurde sans tomber dans le ridicule, il fallait un artiste top niveau : Dominique Bertail (Infinity 8, Ghost Money…) est au sommet de sa forme, son pinceau réaliste distord les tronches vers de croustillantes caricatures, sans oublier de rester sexy. Son lavis sépia développe de belles ambiances lumineuses, et donne aux grandes cases des allures d’illustrations classieuses évoquant les rares photos de l’époque. L’album est un régal et, bonne nouvelle, on devrait retrouver assez vite ses principaux personnages dans une nouvelle histoire.
Gilles Dalose (avec Bodoï) le 29/01/18
Mondo Reverso de Dominique Bertail et Arnaud Le Gouëfflec, éditions Fluide Glacial