Steven Rifkin a rêvé d'un autre monde que voici
Steven Rifkin a longtemps joué de sa science du développement pour exister, mais aujourd'hui que les Douches la galerie lui rend hommage, on en découvre un autre qui a longuement rêvé une possible/impossible Amérique et la dévoile aujourd'hui dans toute sa "candeur".
Si le nom de Steven Rifkin ne vous dit pas grand chose, il vous est forcément connu par ailleurs car Hank's, son studio de tirage depuis plus de 35 ans, développe les plus grands photographes et prépare leurs expos argentiques avec un soin à nul autre pareil qui lui fait dire qu'une image est bonne seulement quand son tirage rend compte exactement de ce que l'artiste voulait montrer, au détail près.
Steven Rifkin nous promène au fil d'un temps oublié, dans une Amérique que l’on n’avait quasiment jamais vue de la sorte, comme si celle-ci n'avait jamais été en guerre, jamais été construite sur le multi-culturalisme et la multi-ethnicité et s'était arrêtée au Go West de Kennedy; un rêve nouveau pour un autre Amérique qui prendrait en compte toutes ses dimensions et ressources. Des années 70 à nos jours, Steven Rifkin nous fait découvrir une Amérique d’une blancheur étonnante, et ses habitants sont photographiés comme autant d’acteurs d’une comédie musicale muette filmée en noir et blanc. Quand on les retrouve par deux, ses personnages sont pour ainsi dire le positif des characters de Diane Arbus. Car Rifkin n’appartient à aucune tradition ; il est sa propre tradition, comme il nous raconte sa propre Amérique. Est-ce bizarre que cela intervienne avec Donald Duck au pouvoir, on se le demande.
Une drôle d'Amérique pacifiée, où Kennedy et Luther King n’auraient jamais été assassinés, une Amérique dont Donald Trump ne serait pas le président. Le genre de pays qui n'aurait jamais envisagé de se voir refléter de si abrupte manière par Mapplethorpe ou Larry Clark.
Mais l’on doit cette apparence de douceur suprême tant à ses sujets qu’à la qualité unique de ses tirages. On ne saurait imaginer ses photos tirées par quelqu’un d’autre que lui ; elles possèdent la douceur et le mystère des esquisses, à tel point que l’on se demande presque s’il s’agit de tirages ou de dessins. Avec cette fixette sur l'Amérique d'Eisenhower et des fifties, on ne saurait lui trouver d'autre attrait que d'être le pendant photographique d'Edward Hopper à ne travailler que sur des stéréotypes ou des archétypes d'une monde blanc ne pouvant se concevoir différent.
Pourtant, s'arrêter à cette vision réactionnaire des USA serait nier tout bonnement l'ensemble son travail car il a œuvré à la reconnaissance de Clarke, de Mapplethorpe et de tant d'autres via ses tirages. On fantasme alors Steven Rifkin comme un homme apaisé, presque heureux, d’une élégance et d’un raffinement extrême, tout en se disant que - forcément ça cache quelque chose … - . Mais si on fait preuve d'un peu d'humour (beaucoup même … ), on peut aussi le voir comme le chantre d'un pays qui a tourné le dos à son histoire et en témoigne avec des rêves régressifs d'un passé mythifié. et, pour lutter contre le trumpisme actuel qui confond sujet et expression du sujet, Rifkin, à poser sa douceur de vivre, en offre l'antithèse par sa simple vision à l'heure des réseaux… Pas dupe donc, mais vu de dos.
Jean-Pierre Simard le 20/01/18
Au fil du temps (Overt Time) — Steven Rifkin -> 20/01-> 03/03/18
Les Douches la Galerie 5, rue Legouvé 75010 Paris