Performance ! par Richard Maniere
Nous avions chaussé nos bottes et nos doudounes à plumes, duvet douillet contre le froid lillois ! Ne pas tomber malade, ce sera notre performance à nous… Quant à l’exposition au Tri Postal, elle réchauffe sacrément, l’humeur, le goût, l’envie, les envies, l’art de performer et même les 40 ans d’un Centre Pompidou qui se « mainstreamise » depuis quelques temps, c’est dire.
C'est curieux de constater que les belles choses ont toujours quelque chose à voir avec le mouvement. Pina Bausch
PERFORMANCE ! En capitales et en exclamation s’il vous plaît, réussit là où la pratique souvent échoue, en évitant les clichés. D’abord parce qu’elle choisit un angle, une sorte de point de vue sur cette pratique artistique, qui la questionne tout en présentant des œuvres parfois connues (et plus contemporaines), dans un dialogue cohérent, parfaitement scénographié, privilégiant le « confort » du visiteur, son appréhension de l’œuvre avant même sa compréhension.
Le style d'une pensée c'est son mouvement. Deleuze et Guattari
Cet angle est celui du mouvement, de la danse, bien sûr, du corps, mais aussi de la pensée. Et du mouvement même qu’est devenu l’acte performatif parmi les artistes plasticiens, musiciens, danseurs, acteurs etc. La puissance de l’exposition réside en son parti pris très fort de donner la place aux images au cœur des vastes espaces du Tri Postal.
Des écrans, parfois, 3 ou 4 par espaces, véritable colonne vertébrale, soutiennent, enveloppent, dégagent, projettent évidemment, mais aussi construisent eux-mêmes d’autres espaces imbriqués, qui proposent le corps du spectateur comme élément vivant de la performance à laquelle il assiste. Gageure relevée avec une portée poétique remarquable. Nos corps transis, marqués par la froide après-midi, sont apaisés, dès les premiers pas qui nous dirigent vers l’entrée de l’exposition, accueillis par les mots qui donnent la direction, l’élan, le « mouvement » de PERFORMANCE ! Avec ces petits détails (très prisés et très souvent réussi au Tri Postal), des objets, installation d’artiste, qui vont ponctuer et rythmer par leur présence ou leur absence la déambulation.
Ce sont les chaises pliantes de LA RIBOT chorégraphe et performeuse qui tient ce rôle d’emblèmes et de « clin d’œil ». 2 ou 3 sont posées contre le mur et nous en retrouverons tout au long de notre parcours. La chaise pliante, mouvante, qui change de forme et qui permet autant la mobilité que l’immobilité sans contrainte de l’une où de l’autre.
Parmi les nombreuses citations d’artistes exposé.e.s contemporain.e.s ou non, c’est celle de Deleuze et de Pina Baush qui nous frappent et nous emmènent instantanément.
De danse il est question donc, dès la première installation qui va donner le ton à l’ensemble de l’exposition. La performeuse Lili Reynaud-Dewar questionne le corps qui danse et celui en particulier de Joséphine Baker, mais pas seulement. La féminité, les stéréotypes du corps de la femme noire et donc de la place de la femme « racisée » dans l’espace publique. Les écrans se répondent eux aussi dans une chorégraphie visuelle tout à fait maitrisée qui encourage à la contemplation et la perte de repère. Difficile de faire mieux comme entrée dans l’exposition.
Nous avançons comme toujours en effectuant une sorte de boucle, j’avance un peu avant pour découvrir l’autre salle et me retrouver souvent entre les espaces pour me rendre compte comment les œuvres dialoguent dans ces interstices… Souvent la richesse du vocabulaire sonore et visuel est saisissante. C’est le cas, car le dispositif suivant est tout aussi sensible avec sa projection multi-écrans… là encore il est possible de tourner autour des écrans, et ressentir l’image de la performance dans une déambulation sereine.
Une des expériences proposées un peu plus tard est le rapport étroit qu’entretien le temps avec le mouvement. On entre dans une pièce sur-éclairée et au mur miroir, puis un écran montre cette pièce avec une latence très élevée. Notre présence nous apparait alors, mais venant du passé. Troublant autant que ludique, c’est une belle réflexion concrète sur la trace des corps dans l’espace.
C’est à l’étage que nos gestes nous conduisent avec pour accompagnement sonore un travail autour d’un cut up radiophonique sur les intonations des réclames… Intéressant de se rendre compte comment le ton stéréotypé ne permet plus l’intelligibilité de l’information. Tout semble important… et donc rien ne l’est.
Une version de Shadow Play, 2011 de Hans-Peter Feldmann, nous scotche littéralement tant la féérie-poésie de l’installation nous emmène avec la danse de ces ombres-objets de collection qui décrivent une farandole de plusieurs mètres : Entre cinéma, spectacle théâtrale et ombres magiques, la performance se vit dans un temps long, ébahis devant la forte présence dans l’espace du dispositif, et très curieux du « comment ça marche »… L’envers du décor est tout aussi magique que le résultat, une pièce maîtresse de cette exposition.
La danse évidemment tient une place de premier plan, avec la performance filmée par Jérôme Bel et la danseuse Véronique Doisneau, où la voix de l’artiste ampli l’espace et accompagne nos déplacements… C’est sa voix qui danse et dit tellement de la dans à l’opéra. La performance est ici dépouillée de tout artifice, on pourrait le voir comme dispositif clinique, alors que la chair de la voix donne de la chair au film, une expérience tout à fait singulière et une remise en question impressionnante de la danse « académique » des ballets de l’Opéra.
La Ribot qui précède l’espace ne contredit en rien ce sentiment, tant l’anti-académisme des danseurs qui se filment dialoguent avec une force inouïe en criant presque (mais en sourdine, car il faut prendre le casque si l’on veut entendre respirer les « acteurs ») toute la beauté du mouvement, même le plus incongrue.
Ces grands espaces qui sont liés par ce même cut-up délivrent nos corps en une Performance de nos propres mouvements. L’amplitude, les différentes ambiances qui dialoguent, s’entrechoquent, se confondent nous enveloppent pour mieux nous montrer combien le mouvement, le geste, la danse, le déplacement, sont autant de facétieuses idées qu’il nous est donné de nous interroger sur notre place dans le monde… Même l’immobilisme, la lenteur, le temps qui se fige, interroge l’espace et notre propre existence dans cet espace. Les points de vues qui troublent notre compréhension mouvante elle aussi selon notre déplacement, comme avec Dubbing de Pierre Hugues qui nous montre 15 doubleurs en action sur Poltergeist de Tobbe Hooper. Le film n’est pas visible. Nous rentrons en lien direct eux, avec cette fascination toute enfantine sur les sons qu’ils produisent, les mots, les gestes et les expressions du visage, tout cela contenu et contraint par leur position assise… C’est comme si le film nous était joué en double/en doublage/ et qu’il nous apparaissait par bribes de réactions abstraites et disproportionnées. Expérience à la fois drôle et intelligente sur le mouvement des mots qui ne sont pas que des sons, mais donnent aussi toute la force des émotions à travers la matière sonore et visuelle.
Pour nous, le climax, c’est sans doute Jewel, film de Hassan Khan, artiste égyptien, qui dans une danse/combat sur un morceau d’électro-chaabi soulève un enthousiasme instantané et une réflexion puissant sur la politique de la répression, de l’autorité et de ses réponses possibles… Enivrante, la vidéo donne l’envie de se joindre à eux pour une danse humaniste, aimante mais affirmée, pour qu’enfin le monde cesse de reproduire les mouvements qui le mène à son inexorable perte.
Un doux rêve éveillé qui pourrait biens se réaliser si vous preniez vos billets à la lecture de ce papier pour vous rendre au plus vite au Tri Postal à Lille.
D’autant que pour ce week end, le 13 et 14, le tarif est de 4 € et que c’est gratuit pour toi ami.e.s de moins 26 ans. Alors ? Performe : BOUGE TOI !!!
Richard Maniere, le 11 janvier 2018