Braguino au Bal ou je n'ai rien vu à Hiroshima… 

Avec son installation qui dévore entièrement l'espace du BAL, Clément Cogitore a voulu faire œuvre documentaire en parlant d'un Russe exilé au fond de la Taïga sibérienne pour s'éloigner de la civilisation et vivre selon ses croyances en auto-suffisance. Las, l'installation y devient une raison en soi et avale le propos qui en perd tout intérêt. Storytelling ?

Clément Cogitore

Clément Cogitore s’est rendu en 2016 à Braguino, du nom de la famille vivant dans quelques cabanes de bois perdues au fond de la Taïga sibérienne, à 700 km de toute présence humaine. Par ce geste, il souhaitait percer le mystère de la volonté d’un homme, Sacha Braguine, issu d’une communauté de Vieux Croyants, qui décida d’installer là sa famille il y a plus de trente ans, avec l’espoir de vivre en paix, dans l’autarcie la plus complète, et de construire un modèle de vie autosuffisant. Très rapidement pourtant, ce paradis devient la scène d’un conflit ouvert entre deux familles ne parvenant pas à cohabiter, c’est-à-dire à s’accorder sur un récit commun d’existence. L’échec d’une communauté possible composera l’axe central du travail filmique, photographique et sonore de Clément Cogitore.

Clément Cogitore

Ici, tout est millimétré, comme si le propos ne se suffisait à lui-même et avait besoin de la scénographie (parfaite) pour exister. Tout y tient du rituel manifeste et le propos documentaire n'y est même pas intéressant. On connait nombre livre sur la question qui racontent l'approche, la rencontre et le constat d'un impossible à vivre. Mais là, nous coller des mafieux qui viennent s'emparer d'un territoire quasi vierge pour organiser des chasses, c'est la goutte d'eau qui fait déborder la cuvette. 

Clément Cogitore

Plongée dans l’obscurité, l’installation au BAL immerge le visiteur, au cœur d’un récit en actes, où chaque fragment filmique se révèle une pièce de l’intrigue, avec unité de temps, de lieu et d’action : l’arrivée à Braguino en hélicoptère, le rêve de Sacha, une chasse à l’ours, l’île mystérieuse où se réfugient des enfants livrés à eux-mêmes; enfin, la montée en intensité d’une menace de conflit armé. Tout cela nous projette dans un monde de plus en plus crépusculaire, comme en témoignent les grandes photographies lumineuses aux tonalités sourdes qui jalonnent cette traversée. Et comme à l'accoutumée, le BAL a envisagé les choses en grand avec moult repères extérieurs autant cinématographiques que filmiques pour renforcer le propos. Mais à quoi bon, puisqu'il n'y pas de substance à nourrir…

Clément Cogitore

Alors oui, l'installation est belle qui guide pas à pas le visiteur vers le propos d'un retranchement à la société impossible à l'heure des réseaux. Mais, sérieusement, quoi de neuf là dedans ? S'en tenir au mythe, pourquoi ? Pourquoi raconter avec de gros moyens, une histoire qui aurait été plus belle uniquement en images statiques ? La photo de guerre chez Magnum a longtemps été une constante du journalisme d'enquête sur des choses en train de se passer. Mais là, que se passe-t-il en dehors d'un rien filmé comme si c'était une nouveauté ?  

Clément Cogitore

Avec pour aiguillons les éléments d’une dramaturgie très archaïque évoquant la construction conflictuelle des grands mythes, Braguino relate l’expérience d’une double impossibilité : celle de fuir et celle de rester, c’est-à dire de composer avec l’Autre, la part maudite de soi. Au-delà d’une simple étude ethnographique, Clément Cogitore livre ici un conte cruel « révélateur d’un instant de bascule de notre civilisation». Si ce monde est voué à disparaître, de quoi cette disparition est-elle le signal ? (Diane Dufour et Léa Bismuth

Clément Cogitore

J'ai ressenti pour la première fois à cet endroit la vacuité d'un propos qui veut faire moderne, mais oublie l'histoire qui l'a précédé et fait feu de tout bois pour devenir circulaire. De la découverte de Braguino à sa disparition supposée, on tourne en rond puisqu'on le sait d'avance… A quoi cela rime-t-il de donner autant de moyens à la vacuité d'un résultat si confondant de bêtise ( Arte et le ministère de la Culture s'y sont collés avec des fondations privées). Alors non, je n'ai rien vu à Hiroshima … 

Jean-Pierre Simard le 23/12/17 
Clément Cogitore — Braguino ou la communauté impossible -> 25/09/17 au BAL, 6, impasse de la Défense 75018 Paris