Les musiques de pub géniales et hors propos de Shimizu Yasuaki
Saxophoniste et compositeur nippon, Shimizu Yasuaki a collaboré à la série Made to Measure du label belge Crammed Disc de Mark Hollander avec ce projet de musiques de pub, Music for Commercials. Un album tellement réussi qu'il bouscule les frontières de la library music au point d'être devenu un objet de collection qui suscite encore l'admiration d'un artiste tel que Oneothrix Point Never, 30 ans après sa sortie.
Au fil des années 80, la collection Made to Measure a suscité un intérêt soutenu par la volonté de son créateur d'y faire figurer des pièces instrumentales qu'on entendait nulle part ailleurs. Hollander la voyait comme une série de Beaux livres dédiée aux musiques qui méritaient et avaient peu d'exposition. Elle est ainsi devenue la Pléiade des labels indé, au même titre que la série Ethiopiques, dans un autre registre, pour son travail de fond.
Quant à Shimizu qui habitait à Paris au mitan des 80's, il a croisé le saxo avec toute la scène parisienne d'alors et même plus, allantjusqu'à jouer avec Pierre Barouh, japonophile émérite, Ryuichi Sakamato, avant Elvin Jones et même Björk. Ce gentleman à costume croisé et petite moustache état un sérieux coco que rien n'arrêtait au point d'avoir enregistré ( je viens de le retrouver dans ma discothèque) avec son groupe les Saxophonettes, les suites pour violoncelle de Bach (collector!) - un truc aussi enthousiasmant pour le jeu que l'approche de Bach au saxo.
Mais ce qui nous intéresse aujourd'hui dans la production de ce souriant monsieur (et accessoirement bourreau de travail), ce sont ses musiques illustratives pressées en 1987 en Europe, mais composées précédemment au Japon pour des grandes marques.
Souvenons-nous de ces années-là, quand la pub trouvait ses marques dans l'inconscient collectif, avec magazines et émission de télé et de radio dédiés. Avec même ses gourous qui prédisaient l'avenir en prospectives arc en ciel et discours futuristes, les Jacques (à Roleix) Séguéla d'avant le coma intellectuel et autres Maurice Lévy de Publicis, en haut-parleurs de la surconsommation riante. Un drôle de moment où les brillants esprits issus de la révolte de la décennie précédente décidaient de parier sur le blé tout de suite plus que sur l'avenir, à sourire plus tard.
Mais là, justement, hasard de l'histoire ou pas, les pubs de Shimizu sont totalement à l'Est et manifestent une liberté de ton et une unité remarquables. Toutes conçues avec une instrumentation à base de sax et de synthés, voire de chœur classique, en jouant à faire s'entrechoquer divers styles, elles sont quand même destinées aux grandes marques d'alors qui jouent plus sur la notoriété du musicien pour asseoir leur image que sur une redondance attendue avec des images lénifiantes qui célèbrent le bonheur du produit. Et pourtant, comme avec la pub Perrier néolithique qui fait danser les planètes en 33t sur fond de James Brown, ça fonctionne. Bien sûr, comme le dit le compositeur lui-même dans le livret, il a collecté toutes celles qui pouvaient fonctionner ensemble pour ce faire. Mais le résultat est là. Avec pour une fois, une bonne idée: vous avez la musique, imaginez maintenant les images des produits. Et, rien que cela, c'est magique.
Jean-Pierre Simard le 18/09/17
Shimizu YazuakiMusic for Commercials , Made to Measure 12/Crammed Disc