Philip LePage entretient une distance certaine avec le monde
Il y a 25 ans, je me suis réveillé dans un hôpital psychiatrique, sans le moindre souvenir de comment j'étais arrivé là… Ces clichés explorent l'espace personnel défini par l'écart entre ce qui est connu et ce qui est ressenti, soit l'étude la maladie mentale. (Philip LePage)
A Certain Distance est un travail d'images en cours sur les choses que je ai été incapable de raconter à qui que ce soit depuis.
Je n'arrête pas de penser que ce ne sont pas des images que je veux prendre - mais une histoire que je ne veux pas raconter. Aujourd'hui, la vie se mesure au temps qui existe entre les cigarettes fumées. Ce n'était ni la première ni la dernière fois, mais peut-être est-ce ce qui l'a rendue si difficile.
Ce sentiment caché que je devrais mieux comprendre, qu'il est étrange qu'au milieu des choses totalement détruites on cherche encore à rassembler les morceaux de tous ces bris de verre coupants. Je n'avais pas réalisé qu'en cherchant à comprendre, j'allais rendre les choses encore plus difficiles, qu'en ne voulant pas mettre de côté mes obsessions, j'allais m'éloigner de ceux que j'aime. Impossible de se connecter à ceux qui refusent de l'être.
Souvent identifié à un trait de personnalité plutôt qu'à une maladie (voir le cas de Philippe Labro - NDLR), à ses débuts, la dysthémie (syndrome dépressif chronique) peut facilement être camouflée à l'entourage et permettre d'avoir des relations sociales à peu près normales, à condition de prendre en compte sa dépression avec une anxiété et et des troubles de la personnalité qui s'installent au quotidien.
Les effets cumulatifs de cette dépression poussent petit à petit les gens qui en sont atteint à s'éloigner de la société. L'isolement devient un sorte d'éloignement choisi, un cercle vicieux dans lequel on cherche à se protéger et ne pas faire souffrir ceux qu'on aime, avec comme résultat de s'en éloigner de plus en plus.
Les images de cette série sont donc fragmentées dans le sens où la vie n'existe pas et les souvenirs disjoints qui ne sont pas fiables se mélangent au présent, pour faire durer le mythe de sa propre existence. Les clichés existent donc dans un espace spécial existant entre ce que je sais et ce que je ressens.
La dysthémie est séductrice et possède sa propre beauté, avec comme un voile au travers duquel je perçois le monde. Je n'ai aucun souvenir d'avant et il me semble impossible de m'en séparer.
Philip LePage
Philip LePage est né en 1969 au nord du Canada, mais est parti à l'étranger en 1994 où il a résidé entre Europe et Asie durant13 ans. Il y est retourné depuis et vit dorénavant à sur l'île de Prince Edward au Canada.
Pour Philip LePage, la photographie est un médium qui sert à mesurer la distance entre les notions de foyer, d'appartenance et d'identité. Elle sert à naviguer entre les mondes, comme une plateforme qui éloigne et relie en même temps. Un entre-deux.