Juana Molina sort son Halo, d'os et de sortilèges

Avec Halo, son septième album, l'Argentine Juana Molina ouvre une nouvelle piste sur la voie aventureuse qu’elle trace depuis des années. Tout instrument qu’elle utilise y devient une extension de son corps, et sert à matérialiser sentiments et humeurs. C'est même ainsi, dans cette approche physique et intuitive qu’elle s'y définit et renaît. Encore et toujours ailleurs.

Juana Molina a suivi un parcours romanesque et invraisemblable. Née en Argentine, elle y devient une comique prisée à travers un show TV ultra populaire. Plaquant tout pour se lancer dans la musique, elle y développe une nouvelle personnalité (telle Kitano au cinéma). Une musique hybride et hypnotique, malaxant guitares folk et sonorités électroniques, pour un résultat jetant un pont entre Arto Lindsay et les travaux les plus aventureux d’une Björk qui aurait oublié ses bonnes manières ou d'un Robert Wyatt avec ses claviers minimalistes.

Si vous trouvez une douceur relative à sa voix, la part d’étrangeté qu'elle recèle arrive juste après pour ensuite se fixer durablement ne doit pas vous échapper, comme ces yeux fixés dans un tibia (cf. pochette). Musique à l’os et/ou musique tribale, c'est justement le projet de ce Halo qui vient de paraître, et Juana Molina de s’intéresser à toutes les luz mala ( lueur malfaisante) qui apparaissent, selon la légende, au dessus de certains ossements enterrés.

Surnaturel comme l’art de la construction chez Juana Molina… où se superposent les chœurs, les couches et puis, et puis… le mystère, ou plutôt le charme, s’épaissit. La compositrice argentine dessine depuis plus de dix ans son parcours singulier dans la musique entre vocalises éthérées et soupirs synthétiques, les mélodies flottent, nimbées de merveilleux, sur des boucles délicatement hypnotiques. Dans cet univers étrangement entêtant, deux titres vous accrochent définitivement : le sublime Lentísimo Halo, avec ses lointaines discordances et son immobilité ouatée, et A00 B01, dont la rengaine acidulée se cale sur le beat d'un métronome. Heureusement loin des modes, c'est édité chez Crammed, pas pour rien, Hollander ayant de grandes oreilles (Hello Marc!). 

Mélodies d'os à cœur, fantômes exorcisés pour vivre au quotidien d'un monde entre magie et rituels. Paroles de femme libre et qui le dit bien haut. Aucune raison de rater son concert samedi à la Maroquinerie … l'album s'écoute en boucle à laisser passer des couleurs et des ombres, du pathos et de la sensualité. Molina a réussi à marier le bois du folk aux liquides des claviers - ou comment trouver la voix du corps en suivant le corps de la voix jusqu'à l'os. J'ai bon, non ?

Jean-Pierre Simard le 15/06/17

Juana Molina - Halo - Crammed Discs

Le 17 juin à la Maroquinerie, 75019. Rens. : www.lamaroquinerie.fr