Les 1440 couchers de soleil par 24 heures d'Haig Aivazian
Avec son installation qui interpelle les relations des logiques quantitatives appliquées à la sécurité et au sport, Haig Aivazian analyse les différentes technologies et le type de sujets qu’elles engendrent aux yeux de la loi et du marché. La Fondation KADIST y déploie films, interviews et analyses qui donneront lieu, le 21 septembre prochain, à une lecture-performée de l'artiste.
Depuis la Coupe du monde de 1998 et l’Euro 2016, les caméras (SD, HD puis 6K) et les algorithmes vertigineux utilisés par les clubs et la police, enregistrent et fabriquent des profils à l’intérieur et autour du Stade de France. Celui-ci bénéficie d’un régime juridique d’exception, il possède sa propre brigade de police (le service transversal d’agglomération des événements, S.T.A.D.E) ainsi que des salles de garde à vue. Il se situe dans la banlieue Nord-Est de Paris, là où la jeunesse des « quartiers sensibles » converge et est transformée, tour à tour en fan consommateur, en star internationale du football, en supporter agité et parfois même en terroriste.
Colin Dayan, chercheuse en droit, travaille sur « l’histoire légale de la dépossession, processus au cours duquel corps et esprits sont continuellement reconstruits ». Elle défend l’idée selon laquelle « à travers la loi, certaines personnes, différemment représentées, perdent ou gagnent leur statut et sont victimes de préjudices ou héritières de privilèges ». Dans cette exposition à KADIST, Haig Aivazian s’intéresse à l’histoire des logiques quantitatives, telles qu’elles s’appliquent dans le sport et la sécurité. La quantification, loin de répondre à de simples besoins, crée des sujets aux légalités variables. Depuis les prémisses du contrôle de l’éclairage public et des couvre-feux, à la géolocalisation des smartphones et aux logiciels de surveillance, Aivazian analyse ces différentes technologies et le type de sujets qu’elles engendrent aux yeux de la loi et du marché.
Aivazian déploie dans l’exposition une installation qui matérialise le passage de l’obscurité à la lumière dans l’espace public et les infrastructures sportives. L’œuvre est une réflexion sur la capacité à double tranchant des systèmes d’éclairage public à mettre en valeur, à révéler ou à dissimuler des sujets. L’ensemble est structuré comme un index, à partir d’éléments constitutifs du stade et de la rue (projecteurs, poteaux de réverbères, goudron) en dialogue avec des dessins inspirés des représentations graphiques générées par les logiciels de pronostics et de statistiques.
Haig Aivazian présente aussi et pour la première fois en France, son film Comme tu es grand Ô fils du désert ! (Première partie), réalisé entre 2009 et 2013, dans lequel se lie la figure du footballeur Zinedine Zidane (dont l’image fluctue aussi de celle de virtuose, à voyou, au « fils d’une pute terroriste »), à celle d’une jeunesse qui vit en zones urbaines sensibles ou ZUS. Le film revient sur l’affaire du coup de tête de Zidane sur Marco Materazzi en 2006 — à partir d’un montage d’archives de presse, de dessins réalisés à la main et d’infographies créées par l’artiste. Une tension électrique, une charge émotive, parcourt tout le film qui en parallèle du récit, rappelle aussi la course des deux jeunes garçons Zyed et Bouna électrocutés dans une enceinte EDF en 2005 alors qu’ils cherchaient à échapper à un contrôle de police. Cet évènement est à l’origine des émeutes en France et de l’état d’urgence déclaré pendant deux mois.
La résidence et l’exposition à KADIST nourrissent l’écriture d’une suite du film Comme tu es grand Ô fils du désert ! Une recherche que Haig Aivazian mène à Paris à partir d’entretiens, de visites des lieux de pouvoir, et d’institutions sportives. Toutes ces sources alimentent le récit qui donnera lieu à une lecture-performée le 21 septembre. Celle-ci identifiera les détonateurs factuels ou symboliques parmi les formes modernes de dépossession, d’exploitation, de répression, qui resurgissent lorsque le trouble dont ils sont le symptôme ne peut plus être contenu.
Il faut remonter à l'exposition du Jeu de Paume du printemps dernier qui s'interrogeait sur les suites de la reconquête de Smyrne des années 20 pour trouver retrouver la même densité de propos qu'ici. Explorer les configurations du présent en l'analysant par ses systèmes de surveillance est assez glaçant dans l'idée, alors pourquoi ne pas l'envisager comme un jeu ?
Jean-Pierre Simard le 1/06/17 (avec KADIST)
Haig Aivazian 1440 couchers de soleil par 24 heures 2 juin → 24 septembre 2017
KADIST Fondation - 19 bis/21, rue des Trois Frères 75018 Paris