Le pouvoir mexicain vu de l'intérieur de Rafael Menjivar Ochoa

Le Directeur n’aime pas les cadavres a pour cadre le Mexique avec tout ce qu’il véhicule de noir. La thèse symbolique du contraste des genres, des oppositions de sentiments, que ce pays offre, est un véritable creuset brut des bases de ce genre littéraire. Se succèdent malgré tout un humour sous-jacent et grinçant, une âpreté scarifiante aux confins des contours de cette nation où s’agrègent les poncifs de corruption, de justice expéditive, de délitement inéluctable d’une démocratie républicaine fantoche.

 

Rafael Menjivar Ochoa

Entrer dans « Le Directeur n’aime pas les cadavres » c’est s’exposer à un récit sans concessions, sans apprêts, sans introduction discursive, sans mise en garde  et de filer, avec brutalité et sans déviation, vers l’essence des maux d’une exsangue nation cherchant pourtant à délimiter une approximative morale…

« Depuis qu’il a vu la dépouille de sa mère, le Vieux, directeur d’un grand quotidien proche du parti au pouvoir, ne supporte plus la vue des cadavres. Cadavres dont son fils est devenu, par défi et après de pseudo études de médecine, la doublure au cinéma. Le Vieux est mal en point. Il a beau tirer les ficelles, il a de gros ennuis, pris en tenaille dans la guerre implacable que se livrent les tueurs d’Ortega et du Colonel. Et avec la folie auto-destructrice de Milady, sa deuxième femme, il risque d’affronter bientôt un cadavre de plus… »

L’auteur né en 1959, en exil durant la guerre civile au Salvador, journaliste au Mexique retourne dans son pays en 1999. Il a publié une vingtaine d’ouvrages traduits et étudiés aux Etats-Unis.

Cet ouvrage appartient à la « trilogie mexicaine »,  De certaines façons de mourir, donnant au bout du compte cinq romans dont le fil directeur est l’histoire et l’anéantissement d’une brigade spéciale de la police mexicaine.

Ce récit est peuplé de personnages incarnés dans leur dimension romanesque mais aussi dans leur faculté à créer une tension et une réflexion de manière plus globale. Le vieux, patriarche et métronome d’un groupe proche du pouvoir, impose des règles et un cadre de vie rigide, inflexible entouré en permanence d’un bataillon de gardes du corps. Son fils suit ce cadre depuis l’enfance en joue, s’en éloigne, y revient et son sentiment profond envers son géniteur reste marqué par une ambivalence contrastée. Milady, la dernière compagne en date du Vieux assène au récit sa part de déséquilibre, sa part d’esprit torturé en présentant des facettes psychopathologiques lestées d’un passé tortueux. Ce trident trace un récit épais, sec, nous envoyant des images sombres d’un état coloré.

Dans ce coin du Mexique, les hommes sont « bruts de décoffrage », lorsqu’une personne dérange, on ne discute pas, on sort une arme et hop, le gêneur disparaît…. Il y a des clans, des non-dits, des trahisons, de la méfiance et personne ne peut être sûr de quoi que ce soit….

Avec une écriture acérée, à l’humour sec, ne s’encombrant pas de mots inutiles, l’auteur nous plonge dans un mélange de réflexions assez profond. Le Vieux est confronté à la mort et cela permet d’aborder les sujets qui sont liés à un décès. Que laisse-t-on derrière nous, pour qui, pourquoi, dans quel but ? Comment faire comprendre à nos enfants les valeurs que l’on souhaite leur transmettre ? Et lesquelles choisir ? Dans un pays où la guérilla règne, les conflits sont importants. On le sent entre les lignes, dans les relations entre les hommes évoqués dans ce roman. Il faut bien le dire, il y a peu de femmes et leur présence, pffff…..  Rafael Menjívar Ochoa nous offre également un panel de relations humaines, présentées en quelques mots, on sait tout de suite qui est qui….

On dit souvent que l’on ne parle bien que de ce qu’on connaît. L’auteur a été journaliste au Mexique et lorsqu’il décrit la face « cachée » d’un quotidien, l’ambiance, la construction et le contenu des articles qui seront mis sous presse, on ne peut que penser qu’il s’est inspiré de son vécu…. Du vitriol au pays du Mezcal où le lombric est dans la démocratie !

Friedrich Angel le 29/05/17 (avec un polar-collectif)

Le Directeur n'aime pas les cadavres de Rafael Menjivar Ochoa, éditions Quidam éditeur, collection Les Âmes noires, traduit du l'espagnol par Thierry Davot