Avec Ascensions, Babx tombe au ciel

Depuis son premier album éponyme, en passant par Cristal Ballroom, Drones personnels et le sublime Cristal Automatique #1, Babx, n’a cessé de s’envoler toujours plus haut, poussant dans ses derniers retranchements une chanson française qui s’essoufflait et crevait à petit feu. Exploration d'un renouveau.

C’est d'abord par la musique, que Babx fait sonner les mots, phrase ses phrases comme si elles donnaient autre chose que du sens ou une rime. Elles sont la chair de sa musique, la chair et le sang qui font palpiter des sonorités appuyées d’un piano sensuel et émouvant.
Avec ce nouvel album, Babx détricote les lois du genre. Quasiment piano-voix à quelques pièces près où il invite le Supersonic de Thomas de Pourquery, sur un Tango sublime chanté par Mujahid Hajana, il cisèle des textes bien plus proche de la littérature et de la poésie que de l'habituelle chanson. Ce qui nous enjoint à le rejoindre et l’écouter, plutôt qu’à le chanter. (Même si, Omaya se chante, les larmes aux yeux lorsque Archie Shepp souffle le dernier souffle de cette femme qui repose sous un mandarinier, après avoir combattu jusqu’au bout.)

Ascensions est d’une audace et d’une liberté totale. Babx signe un objet indépendant, frôle et flirte avec le jazz, s’invitant dans une danse sonore virevoltante, mélancolique et terriblement joyeuse portée par une diction sensuelle et romantique. Et l'album retrouve là les accents de la chanson française des 70's, quand celle-ci se chantait no limit et prenait tous les risques avec le Higelin de Tiens, j'ai dit tiens, la Fontaine de Comme à la radio, le Lavilliers des Aventures d'un billet de banque;  tous passés au filtre de cinquante ans d'expérience et à l'ombre immense de Bashung.

Babx c’est Baudelaire, Genet et Tom Waits qui ensemble décident de faire de la magie noire. Et la magie opère, à cœur ouvert. Haletant on grimpe, on s’imagine sur les cimes, mais le seul Alpiniste c’est lui qui, d'un seul « je t’aime » réussit là où tout les autres échouent, à faire chavirer le texte dans une autre dimension et faire coïncider la musique avec un autre espace. Sensations! On sait qu'à altitude élevée, l’oxygène est raréfiée et que la fatigue vous cueille, sans parler du froid qui paralyse. Avec Ascencions, Babx délivre le plus rare, autant qu'indispensable à la survie dans le contexte d'une production musicale française généralement aussiterne que formatée : le moyen de respirer généreusement, de se réchauffer et d’aborder des sentiers, des voies sur lesquels on n'oserait pas marcher. Ici, elles deviennent notre maison, notre demeure, où l’on peut se reposer. En retrait et, pourtant, complètement dans notre époque. En 37 minutes chrono, Babx « fonce la tête en bas, comme un bison dans son destin », celui d’un artiste qui le saisit, libre, (son album sort sur son label BISONBISON), se refusant tout compromis, de style, de format et de forme. Genre… essentiel !

Richard Manière le 29/05/17

Ascensions, Babx, label BisonBison