Sanary, plus que Jamais (ou Photomed 2017 en résumé)
On pourrait définir le ciel comme l’endroit que les hommes évitent, disait Gérard Rondeau, et c'est en son hommage, avec les expos de Flore, Michaël Duperrin, Hélène David et Hans Silvester que Photomed 2017 avait pris racine à Sanary sur Mer.
Philippe Sérénon, directeur Artistique de cette partie de Photomed a choisi de rendre hommage à un immense photographe disparu brutalement en Décembre dernier, Gérard Rondeau, « entre silence et ombre » à la Salle Barthélémy de Don, dont la photographie est avant tout poésie visuelle, jeu avec le sens, humour, distance. une photographie traversée également par l’écriture, l’aphorisme, réflexion sur l’engagement.. Il écrit « Imaginer c’est s’absenter, c’est s’élancer vers une vie nouvelle. » et « J’aime les chemins qui ne mènent nulle part, j’ai tendance à les prendre, à marcher sur des routes où l’on n’a rien à trouver », écrit provocateur au regard de ce qu’il trouve toujours et de ce qu’il donne à voir par cette photographie qui joue avec le réel, se nourrit de lumière et vient témoigner d’un sacré tempérament.
Son travail de portraits en N&B en témoigne, Boltanski, Monory, Alberola, Keith Haring, Duras, Louise Bourgeois, César, Rebeyrolle et bien d’autres noms célèbres aux visages inconnus du grand public, sont souvent photographiés tels qu’en eux mêmes, concentrés, préoccupés, absorbés. Il écrit à ce sujet : «Pénétrer l’intimité d’un visage, d’une silhouette, d’une épaule, être un court instant très proche de quelqu’un qu’on ne reverra peut-être plus. Et puis sortir, épuisé, comme après un combat de boxe. »
Exposé à Photomed en 2012, Gérard Rondeau est bien présent, grâce aux tirages prêtés par la MEP, l’exposition est superbe et traduit l’esprit par lequel le photographe reste présent tant son œuvre est riche, intègre, sans concessions, exigeante, sans détour et droite comme cette photographie des rails, fonçant à toute vapeur vers l’infini, par les phrases écrites et distribuées en miroir inversé sur les lignes de fuite de l’image, comme en un ciel doublé de mots. Sa poésie, lettriste parfois, rend également l’œuvre photographique très présente aux yeux d’un public enchanté par tant d’à propos et d’humour saillant. Certains de ses livres, J’avais posé le monde sur la table, Shadows, Rebeyrolle ou le journal d’un peintre, Les Fantômes du Chemin des Dames, Le Suspect habite au 23 ou C’est écrit restent des moments de grâce.
Suit l’exposition de Michaël Duperrin, Out of The Blue à L’Atelier des artistes, son travail prend comme point de départ le voyage de retour d’Ulysse en sa terre d’Ithaque et les nombreuses épreuves que subit le héros pendant 10 ans, confronté aux sirènes, à Calypso, pour évoquer monstres et dieux, dans une grande pièce faite de cyanotypes (négatif monochrome, puis tirage au bleu de prusse ou cyan) composée d’une bonne trentaine de tirages, très intéressante, signifiant les épreuves et les confrontations du héros face à l’adversité. Sur l’autre mur de la galerie, la silhouette de dos d’un homme face à la mer et au couchant, floue, la ligne d’horizon passant par celle de son regard, introduit un corps unifié par le silence, la poétique de l’aède faisant secrètement sens et donnant à cette silhouette une puissance issue de l’antécédence, ce que fut la civilisation antique dans son rapport au sacré, vibratoirement. Le héros est-il à ce moment le levain de l'homme moderne, cette Méditerranée est-elle toujours le berceau de la civilisation? Ceci fait sourdre toute la condition humaine. Le photographe a refait le périple d’Ulysse et photographié les lieux dont parle Homère, les rapprochant de nos problématiques actuelles, migrations, identité, hospitalité. A l’oubli de l’île des lotophages, il faut réaffirmer les trois valeurs de l’esprit universel qui se fit après Mycènes par l’intercession de Mnémosis, la mémoire, Dikè, la justice et Alléteia, la vérité, trois valeurs fondatrices qui animent le héros antique. Out of the Blue ou hors du bleu marin, le repli de la nuit ancestrale et prodigue… alliée à la mer, ce que la nuit (nuktè en grec) partage avec la mer vineuse, le bleu de l’azur. qu’aucun mot ne formule véritablement dans la langue d’Homère, les indications de couleur étant moins usitées que celles tenant à la luminosité. La perception qu’avaient les grecs de la couleur était plus intime et psychologique qu’objective. Michaël Duperrin interroge, de ce point focal dans le temps et l’espace, les liens qui sont encore les points forts de l’identité constituée autour de cette Mare Nostrum, devenue problématique devant les enjeux politiques de ce monde dit moderne.
L’invitation au voyage se poursuit avec l’exposition d Hélène David Noces ou les confins sauvages à la Maison Flotte, qui offre dans cette continuité, une forme de réponse à Michaël Duperrin. Son terrain d’action n’est autre que les calanques où la sauvagerie du vivant, végétal, minéral, animal, est en retour une possibilité, un ferment de la décontamination de l’humain et de sa reprogrammation vers plus d’harmonie, retour d’une conscience plus écologique, l'homme doit se ressourcer et retrouver ce partage respectueux avec la Nature. La Photographe traduit tout cela par une volée d’images de différents formats parlant des libérations intérieures, d’envols, de légèreté et de plumes d’anges, de levers de soleil, de mers agitées et d’expériences de groupes, de nudité et d’amour, de soleils révolus, toutes filles de la mer et du vent. Un esprit libre, citant secrètement l’héritage du mouvement Beatnik s’ affirme, hors du système, par ce projet et veut lire les auspices dans le ciel. « Le grand libertinage de la nature et de la mer qui m’accapare… » écrit Albert Camus… résonne en ces photographies. On respire cet air iodé et marin qui semble si naturel ici, dans une photographie voyageuse et apparemment libre de toute contrainte, tel un ciel d’été où passe le vol ailé des oiseaux , volant vers la droite, de bonne augure donc. Esprit shamanique inspiré, Hélène David invite aux Noces d’Or de l’Homme réconcilié et Vivant, et de ses noces avec la Nature, un retour à Eden, cette liberté perdue et retrouvée:
l’Homme réconcilié avec le Vivant et lui-même dans la paix lactée du Cosmos, une façon également de revenir aux étoiles.
Flore expose une femme française en orient, une série de petits formats Noir et blanc, tirages au sel d’argent virés au Sélénium, à la Maison Flotte. Ce voyage de l’autre côté de la Méditerranée, dans une aspiration vers l’Orient, à l'heure où se fond l’or de la lumière pour entrer dans la nuit, ensemence le retour d’un passé rapporté. Quelque chose d’une mémoire personnelle fait le récit magique de l’heure bleue, car il est difficile de situer cette heure précisément, heure du passage entre deux mondes, deux énergies, deux champs de conscience. L’heure revisitée des territoires d’antan relève du rêve (et du corps enfant), quand la perception de l’espace et du temps est si finement intelligible et sensible, un miroir se tend alors et s’empare du ciel intérieur où se projettent les ombres de l’anima enchantée, tel un génie au pli du monde. Tout ce mystère serein se lit par le soin que Flore joint à l’application artisanale; procédant par touche sensible, par petit carré magique, pour établir ce corps entré en souvenance ou, plus sûrement, ce qui nous fait étant - et à jamais - , présent et éternel, sensibilité royale car universelle et partagée par tous.
Plus propice au Roman de l’heure, au passage de la seconde, au rêve de demain, à l’abandon d’hier, tout un processus temporel retient une sensibilité photographique pour établir cette présence dans le regard. De grands palmiers ondoient légèrement dans la pénombre des soirs, un chat blanc est aperçu, de loin et au repos, près d’un bassin, un petit Monet se constitue du reflet ondoyé des nénuphars sur l’eau du bassin. Quiétude des soirs, murmures de l’Orient où tout un monde se révèle, intimité rêvée. Onirisme littéraire. Flore répond aussi en secret à un autre voyage, celui de Flaubert, le glissement qui, avec Salammbô, dans la littérature du XIXe siècle fut précurseur de Champollion, autre Orient que Nerval parcourut aussi. Il fallait bien que les poètes, les écrivains précèdent les scientifiques en ouvrant à l’imaginaire européen les portes des pyramides, assumant en retour le mystère antique du renouveau, cet esprit teinté d’Orphisme et de voyages. Et pourquoi cette teinte d’orientalisme si particulière, continue-t-elle de proposer un rêve magique? Est-ce encore que sa lumière physique s'approche au plus près, dans son spectre, de la lumière plus métaphysique de nos paysages intérieurs… là où nos colonnes d’Hercule précipitent la raison et la sensibilité vers un Eden, un retour de la connaissance et du feu propitiatoire? Comme il en fut si longtemps dans le soir des déserts, à l’heure où l’homme sent l’ombre recouvrir le monde et le fait se rapprocher du feu, lumière chaude et dorée… sensualisme du temps et de l’heure; quand la main écrit la lumière augurale des ailleurs et s’en revient en sa terre natale. Cette sensibilité des heures trace son chemin, serait-il alors question de mysticisme et de présence? A vivre les photographies de Flore, il m’est devenu impossible d’en douter…