Angoulême toujours en Émoi avec Pascal Therme (part 2)

La seconde partie de cet article sur Angoulême, l’Emoi photographique, me permet de préciser, en revenant à la matière même de nombres d’excellents travaux produits et exposés par Peggy Vallaire, Directrice Artistique, que ce Festival a vocation de RÉPARER les MÉMOIRES historique et personnelles, l’IMAGINAIRE et LE CORPS, pour exemple, atteint par l’âge, la maladie, Jean Charles Dehedin, comme, aussi bien, les injustices faites aux tirailleurs sénégalais et celles établies par Michel Claverie dans Tracks, ou Bruno Mercier.

Bruno Mercier

Réparer au sens politique du terme, ce qui concerne la vie de la cité, est il besoin de le rappeler, c’est dire revenir sur les traces même de l’Histoire, dans une proposition de vérité, repenser le rapport mémoriel, afin qu’il reste assez constant pour ne pas se déliter, s’appauvrir, se diluer, que la mémoire historique se ré-agrège, à chaque génération et surtout, afin qu’elle  établisse clairement le fait historique,  qu’elle ne soit pas l’objet de trafiques en tout genre et de ré écriture réductrices ou « rénovatrices ». Il est donc important de continuer à produire ces mémoires actives et actuelles, à entretenir le lien mémoriel. Est ce un hasard si le Festival programme deux expositions liées à la guerre de 14 et une à celle de 39, une autre qui revient sur le conflit khmer? Non, bien sur. Le reste de la programmation rejoint ce propos, dans les champs du corps, de l’intime, de l’imaginaire.

Bruno Mercier

Bruno Mercier 14-18 Théâtre. Un paysage de la mémoire.

A travers 14-18 la grande Guerre, Bruno Mercier revient à ce combat; il évoque déjà la mémoire de ses arrière-grand-pères disparus au « champ d’honneur », mémoire liée à d’anciennes photographies. Il se lance ensuite dans une sorte de vérification in situ, sur les traces mêmes encore visibles des paysages où se tint la boucherie générale des affrontements et sur les cicatrices des paysages qui ont vu les grandes batailles. Travail en noir et blanc d’une belle intensité dramatique, formellement assumé, cadrage, grain, ciel, importance des variations entre l’ombre et la lumière, de la richesse des nuances de gris,les traces sont encore présentes, que ce soit les bâtiments et blockhaus affleurants, ou le creux d’un chemin, les tranchées elles même. Au delà des films qui, avec d’autres moyens, évoquent le grand charnier, ce retour sur les lieux constitue en soi un paysage de la mémoire, où, ce passé invisible souffle toujours son défaut de représentativité et son excès, plus volontiers matière fictionnée du cinéma de Kubrick ou de Jeunet. A la fuite de l’image, on sent que le photographe cherche cette part d’invisible qui fuit devant lui, qu’une quête s’est constituée et qu’un chemin s’est ouvert, à la fois dans la précision de l’évocation et la volonté d’établir, volonté d’un surgissement voué à réparer cette mémoire personnelle et historique qui est le sujet général du Festival, en portant aux yeux de tous, ce qui toujours, semble ancré, au fond de soi contre la fuite des perspectives grises et mélancoliques, des lieux qui gisent, a rebours de la mémoire,sous le ciel de France et qui emportent le photographe…

 http://www.brunomercier.fr/

Bruno Mercier

Bruno Mercier

Bruno Mercier

Michel Claverie à l’Espace Mémoriel de la Résistance et de la Déportation.

Michel Claverie

Ce continuum mémoriel trouve sa pleine expression à l’Espace Mémoriel de la Résistance et de la Déportation,  avec le travail de Michel Claverie dénonçant l’entreprise d’effacer tous les témoins des camps à travers « ses marches d’évacuation des camps, ultime chapitre du système concentrationnaire nazi. La béance, la mort, la déportation, la haine, l’extermination et l’abomination sont inscrites dans l’air et la chair des paysages photographiés, ce noir et blanc donne au funèbre une voie blanche et noire, interdite, séditieuse, enclose des larmes du sang et de la fureur, qu’une paix sentencieuse vient recouvrir, appel des silhouettes disparues, comme happées par la forêt, au point qu’il faille cloué les portraits de ces hommes joyeux et vivants, disparus à même le bois des arbres, infinités dissonantes où sonnent les éveils déchus, quand sonne la cloche du soir et que cette vie est encore, au bord des chemins, sur toute lèvre du vivant. Le photographe suit en lui et in situ, le cheminement d’un bruit, d’un son, d’une fracture du silence…pour s’enclore dans l’œil et entrer dans ce temps de la photographie, où tout est murmure, quand le sacrificiel se retrouve dans un chant de source. J’ai pensé à Bergman et à son si sublime film « La source ».

http://www.angouleme-tourisme.com/1858-espace-memoriel-de-la-resistance-et-de-la-deportation

Michel Claverie

Warren Sare

Warren Saré, La dernière carte. Au Musée Municipal d’Angoulême.

Sous une autre forme toute aussi réparatrice dans l’examen que souhaitent les tirailleurs sénégalais de se voir reconnus, au terme d’un combat qui aura duré des décennies et dont le compte, n’est toujours pas soldé par l’administration, Warren Saré, invité d’honneur du festival, affiche les portraits de quelques survivants, qui ont tout donné pour La France et que celle ci, à travers un mépris, a toujours peiné à reconnaître. Que d’encre à couler pour soutenir ce juste combat et qu’il est juste de voir, par le biais de ces portraits, ces hommes à l’honneur bafoué, mais plus que tout, homme quand même et bien sur leurs pieds, nets dans leur sourire. Warren Sare , hors de tout pathos, dans une bonhommie de circonstance, a ce léger sourire qui porte son travail vers un » retour du refoulé » et dans l’espace social français, sorte de revanche accomplie et salutaire dans le service qu’il rend à la mémoire de ces hommes, disparus pour un grand nombre, ayant été trompés, volés, insultés, et qui, pour certains, ne demandaient que de retrouver leur carte militaire. On imagine le calcul honteux des ces administrations d’abord coloniales puis républicaines dans ce jeu honteux, la souffrance morale de ces tirailleurs… maintenant, grâce à Warren Sare, présents à nouveaux dans leurs revendications sur le sol français et, qui plus est, au Musée. Les voici, toujours bien présents et si actuels…. Warren! c’est un joli tour à La Wangrin, ce héros d’Amadou Hampaté Bâ, qui ne cesse de battre en brèche toute une administration coloniale française, à travers aventures, chausse-trappes et coups en tout genre…. Bravo, je revois ici son visage, parmi les tiens…

Warren Sare

Sur le Festival.

D’une excellente tenue sur le plan de la programmation et dans le continu du lien qui unit le festival à la région, Peggy Allaire, directrice du Festival, secondée par Yann Calvez, commissaire technique, incarne les valeurs liées aux choix établis par une pertinence aussi partagée qu’ambitieuse;  le festival est une porte ouverte sur toute une photographie prenant à bras le corps de vrais propos construits et pertinents, faisant état de problématiques difficiles (l’exploitation, la maladie, l’image de la femme après 44 ans, l’Afrique, l’Art, etc.) auxquels le public répond très positivement. Ces expositions sont liées à la pleine intégration de l ‘événement dans une actualité artistique riche, avec notamment l’ouverture du mois de la photo du Grand Paris qui suit dans le calendrier et font d’Angoulême, l’Émoi photographique, un festival militant exposant une pluralité discursive d’excellents travaux. La facilité d’accès aux lieux et leur dispersion dans le centre ville ont rendu leur visite facile et agréable. C’est dire que tout était prévu et fait pour que ce Festival soit un moment d’échanges et de découvertes, dans une belle convivialité. Toute la programmation sur www.emoiphotographique.fr

Pascal Therme

Pascal Therme vit et travaille à Paris. Il y conçoit ses reportages sur les expositions, la mode et les fashion shows.