Fils de gonzo : c'est pas une vie !

Et pourtant, il aura bien fallu que Juan F. Thompson s'y fasse. Passant d'un extrême à l'autre, son illustre/phénoménal/atrabilaire/génial père aura, jusqu'à son suicide final, semé la zbeul dans la vie de son fils. Le récit autobiographique, aussi passionnant qu'émouvant de Juan F. mérite votre lecture. Quelques raisons à ceci.

Pas une sinécure d'être le fils de… Demandez aux enfants Picasso par exemple! Mais dans le cas de Juan F., le fils de Hunter S. Thompson, il faudra 298 pages pour qu'il en convienne et trouve sa voie au fil de ce Fils de gonzo, excellemment (as usual) traduit par notre ami Nicolas Richard.

Revenons un instant sur ce qui fait le charme de ce livre : sa parole décillée et ses divers émois de fils en face de la statue du Commandeur. Excusez du peu - mais un tel coco, ça peut faire des dégâts. Et la narration qui avance de petits bonheurs en grande détresse marque les étapes du point de vue domestique. Là encore, pas de tout repos.

Nicolas Richard, Juan F. Thompson et Hubert Artus à Paris - mars 2017

Vivre dans l'œil d'un cyclone ( tant que soufflera la tempête disait Bashung, je saurais à quoi j'aspire… ) n'est pas à la portée de tout un chacun et Thompson épuisera ses compagnes les unes après les autres, la mère de Juan en premier. 

Mais c'est en s'accrochant et en tentant de reconstruire/s'inscrire dans sa vie de famille ou ses manifestations diverses, inopinées et irrégulières que Juan finira par comprendre, avec l'aide des amis de son père, dont Jimmy Buffet, qu'il l'aime à sa façon,  - mais que c'est à lui de découvrir comment. Et d'abord, sans chercher pourquoi.

Au final, le fils dévoile des pans entiers de l'histoire méconnue du renégat/ex-gentleman du Sud qu'est son père, devenu par sa propre volonté le journaliste/écrivain le plus célèbre des 50 dernières années. Celui qui, après avoir recopié Hemingway ( pour la sécheresse des phrases) et Fitzgerald (comme Juan F. , tiens donc!) pour le style a décidé de chambouler le journalisme en y mettant au centre son ego pour lui donner du punch. Un peu comme Orson Welles dans Citizen Kane qui affirmait que quand la légende est plus belle que la réalité, il faut imprimer la légende ! Et des articles fleuves, jamais rendus à Rolling Stone à l'heure, obligeant le Réd Chef, Jan Wenner, à bosser comme un cinglé dessus pour leur refiler une certaine cohérence, il tirera des livres en forme de compte rendus plus vrais que vrai d'une époque hallucinée, résumée ici dans Las Vegas Parano : « San Francisco autour de 1965 constituait une espace-temps tout à fait particulier où se trouver. Peut-être que ça signifiait quelque chose. Peut-être pas à longue échéance…Mais aucune explication, aucun mélange de mots ou de musique ou de souvenirs ne peut restituer le sens qu’on avait de se savoir là et vivant dans ce coin de temps et de l’univers. Quel qu’en ait été le sens.

Les vrais protagonistes de Las Vegas Parano: Hunter et Osqcar -Mr Gonzo- Acosta au Ceasar's Palace.

Tout est question de feeling, pas vrai ? Alors à la fin des 60's, fuyant San Francisco, Hunter et sa compagne s'installent à Aspen Colorado et fondent leur famille avec Juan pour y vivre exactement selon leurs désirs, et continuer à écrire au calme, tenter de devenir shériff du lieu (etle manquer à quelques centaines de voix… ), puis suivre la campagne de McGovern qui deviendra un ami et pousser la jeunesse à s'intéresser à la politique. Là exploseront la fantaisie, la fureur, les embrouilles de fric, car Hunter, généreux, est un panier percé et cela se ressent sur la vie familiale et la difficulté d'exister aux alentours d'un type larger than life  qui s'enfile un litre de whisky par jour et quelques lignes de coke tout au long de sa vie, sans compter les fêtes et les multiples herbes aromatiques. Ceci, sans compter le rock à fond, les armes à feu et les discussion sans fin à défaire le monde.

On peut résumer - et le livre ne dit pas autre chose- seulement avec les mots d'un enfant vis à vis de son père qui trouve enfin sa place et partage des moments ( comme si ce qui est normal chez les autres devait se passer autrement… ) toujours tiré de Las Vegas Parano : Prototype personnel de Dieu, mutant à l’énergie dense jamais conçu pour la production en série. Il était le dernier d’une espèce : trop bizarre pour vivre mais trop rare pour mourir...

Après cela, si vous n'avez pas eu envie de lire Hell's Angels et/ou Las Vegas Parano - ne soyez pas feignant, faut lire avant de regarder le film, c'est juste que ma histoire est mal racontée …

Jean-Pierre Simard le 3/04/17

Fils de gonzo de Juan F. Thompson - éditions Globe