Aulnay-sous-Bois : figures stylées, les mises en tropes de l'univers lycéen
Deux ans après « LOL est aussi un palindrome », et toujours chez First, Mathilde Levesque revient avec un nouvel ouvrage singulier et roboratif. Pour saluer à la fois l’inventivité de la langue française, réconcilier subtilement et avec beaucoup d’humour les éternels anciens et modernes, échapper aux perpétuels grincheux sans sacrifier un seul instant la beauté et l’exigence, cette enseignante de français à Aulnay-sous-Bois, auprès de classes de lycée et de BTS, a su trouver un magnifique nouvel angle d’attaque pour faire de la tchatche même et du sens de la répartie lycéen un formidable outil d’apprentissage dans la (vraie) bonne humeur.
Dans le cadre de mes études, puis de mon enseignement à l’université, j’ai d’abord été du côté de l’exercice : l’un des cours que je devais assurer pendant six mois s’intitulait même « Les figures de style ». Véritable détecteur de métaphores et autres euphémismes, je disséquais les textes et j’apprenais à mes étudiants à faire de même.
Et puis il y a eu le lycée, en Seine-Saint-Denis. La rhétorique était dans la rue, et j’en prenais conscience pour la première fois, en découvrant la puissance de ce qu’on appelle le « bagou ». Comme Aristote l’avait pressenti, il n’était pas nécessaire d’avoir lu la Rhétorique pour être un as des figures de style. Cela m’a semblé d’excellent augure pour mes élèves, parfois méfiants à l’égard du cadre scolaire, mais néanmoins passionnés au quotidien par l’évolution de la langue. Car enseigner dans le 93, c’est aussi avoir la chance d’évoluer dans un incroyable vivier linguistique et de penser à autre chose qu’à « l’obscure clarté qui tombe des étoiles » pour illustrer l’oxymore et au discutable « va, je ne te hais point » pour la litote.
Passant en revue aussi bien des figures de style (relativement) classiques et en général connues du public, même hors des études de lettres classiques et modernes, telles la litote ou l’oxymore citées ci-dessus, mais n’hésitant pas à aller chercher chaque fois qu’utile ou nécessaire les plus imposantes ou plus improbables chleuasme, hyperbate ou aposiopèse, Mathilde Levesque joue fort habilement et fort sérieusement avec les exemples issus de la pratique quotidienne de la langue de ses élèves, en cours de français ou juste autour, pour de savoureuses mises en situation de ces aspects pourtant réputés, à tort, austères, au sein de l’enseignement du français et de la littérature.
Madame, vous ne pouvez pas décaler le devoir à vendredi, enfin au moins à demain, quoi ? (épanorthose)
T’as vu, mec, me poser tranquille et choper des meufs, c’est tout ce que je vais faire pendant les vacances – et préparer le concours général de maths. (hyperbate)
J’ai le seum’ mais de nouvelles baskets. (zeugma)
Vas-y, wesh, fais pas ta Bovary ! (antonomase)
(On frappe à la porte)
– C’est ouvert !
– Euh… Un extraterrestre, Madame ? (kakemphaton)
Jouant aussi avec les authentiques et historiques usages sociaux (et non uniquement « littéraires ») de la rhétorique, avec les cibles auxquelles elle s’adresse, avec les rebonds possibles et les « plans B » éventuels en cas d’échec à obtenir l’effet visé, Mathilde Levesque offre aussi, mine de rien et en filigrane « ne se prenant pas au sérieux mais.. » (aposiopèse), une salutaire et redoutable éducation populaire, pas si éloignée d’une joueuse réappropriation de tant d’outils aujourd’hui confinés, détournés et avidifiés au sein des séminaires de techniques de vente et de négociation (à l’image de l’épanorthose, grand classique de la méthode Xerox Learning International des années 70-80), ce qui ne serait pas le moindre des paradoxes réjouissants de cet ouvrage qui réussit parfaitement le défi d’être, simultanément, vraiment hilarant, sociologiquement captivant et littérairement rigoureux.
Mathilde Levesque - Figures stylées - éditions First
Coup de cœur de Charybde2 le 17/03/17
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