Les Tractor Boys de Martin Bogren
Il est peu de livres qui encapsulent le temps et l'espace aussi parfaitement que celui-ci. A tel point qu'on a l'impression d'y être sans jamais y avoir mis les pieds. Et c'est toute la magie de la photo que d'arriver à capter/capturer des temporalités et des moments hors temps; de ceux qui font remonter une mémoire partagée à base de rêves anciens et d'émotions enfouies.
Là-bas, de jeunes adolescents de la région perdue de Skane en Suède, partagent un rituel qui consiste à se rassembler avec leurs petites amies dans un endroit à l'écart de la ville pour conduire des vieilles voitures trafiquées à fond la caisse, en rond et faire gicler la poussière ou la neige au milieu des odeurs de caoutchouc brûlé, d'huile et d'essence. C'est un rite de passage à la fois doux et innocent. Avec, pendant les pauses, entre ces moments de bravoure, des rires, des discussions, des moments de sieste. Pris là, dans leur monde à eux, isolés, à jouer avant que n'arrive l'âge adulte et d'autres activités.
Ce qui intrigue le plus est comment Martin Bogren, homme tranquille d'âge moyen, au demeurant, est devenu ami avec eux, sans devenir l'un d'entre eux et comment il s'est effacé pour obtenir ces clichés d'une troublante intimité, à la parfaite cinématique. Sans jamais aucun jugement, aucune célébration, seul tenu à un témoignage à forte sensibilité artistique.
Les images en noir et blanc avec du grain, déjà prises une à une, sont parfaites mais, reliées, elles racontent une histoire aussi riche que multi-facettes. Elles rappellent un peu l'ouverture des Ailes du désir de Wim Wenders, quand les anges enregistrent leurs témoignages et restent songeurs devant les expériences quotidiennes des mortels sur la terre. Et la seconde image qui vient à l'esprit et celle de Peter Pan avec sa bande, en route pour ne jamais grandir. Genre de petit chef d'œuvre, hautement recommandé.
Jean-Pierre Simard
Tractor Boys de Martin Bogren, texte de Christian Caujolle
Dewi Lewis Publishing - hardcover: 60 pages