Trish Morrissey bricole des artefacts historiques pseudo-réels en famille
Avec sa série Seven Years qui en fait n'en compte que quatre, de 2001 à 2004, Trish Morrissey et sa sœur ont transformé les albums de famille en objets témoins d'histoire et artefacts des us et coutumes anglaises de son temps. Le résultat intrigue sans choquer, mais détonne fortement. Comment pouvait-on se fringuer comme ça - et surtout pourquoi ? Mots d'auteurs.
"Réalisée entre 2001 et 2004, la série Seven Years a été la première dans laquelle je me suis prise comme sujet. Au départ, je n'avais nulle intention de me mettre face caméra - c'est arrivé par élimination. J'ai d'abord essayé de la faire avec mes quatre frères et sœurs afin de recréer les figures imposées de notre enfance pour en faire un album de famille traditionnel. Mon but était de parler de relations familiales et des rôles imposés aux enfants par les parents. Au fil du temps, je me aperçu que le meilleur choix était d'employer ma sœur, car elle tenait la pose sans avoir à se poser de question sur les motivations de son personnage.
Nous avons travaillé en duo; à faire bouger les lignes de genre et de génération, floutant les lignes entre les faits et l'imagination. Je suis la seule à être à la fois devant et derrière l'objectif. Le médium d'album de famille, de la fin du XXe siècle est en train de disparaître, alors que chacun s'échange des instantanés et des clichés digitaux; quasi sans jamais les publier - à les stocker dans des disques durs ou sur des comptes de réseaux sociaux. De la sorte, ces rituels anciens sont en voie de disparition. Autrefois, cela nécessitait une mécanique à mettre en œuvre, à base de dialogues oraux ou de narrations à reconstruire, avec souvenirs à faire remonter, nostalgie en bandoulière et célébrations d'instants passés - tout comme secrets à ne pas révéler, oublis et dénégations diverses. Les albums de famille sont des marqueurs de conventions sociales. Mais ici, on est face à un flux résultant de diverses interventions digitales.
L'album de famille présente une version idéalisée de la vie de famille qui en conforte les mensonges : chacun a une expression spécifique pour l'occasion. A savoir, quand nous posions, nous avions un sourire figé, mais l'inconscient se manifestant à l'occasion affichait tout autre chose que la simple pose affichée. L'instantanéité de la photo fait qu'elle isole des éléments autrement invisibles, de ceux qui sont trop commun ou minutieux à discerner. Ma quête personnelle ayant toujours été à la base de mon travail, celle-ci inclue aussi bien la philosophie, la biographie, les fictions et les films.
Au cours de ces 15 dernières années, mon travail a été effectué avec l'idée que la photographie est un langage qui peut être compris et traduit de plusieurs manières. Je joue souvent avec les figures et clichésde certains registres photographiques et les détourne pour en faire surgir de nouveaux sens ; à la rigueur même, de vieux clichés servent de base à de nouvelles prise de vues pour leurfaire dire autre chose. Il s'agit alors de donner à la photo plus de présence humaine que le simple cliché précédent. Mes individus sont alors plus que leurs simples portraits.
Les photographies de Seven Years sont des clichés maladroits avec : traces de doigt sur l'objectif, des personnages aux yeux clos, ou même des postures crétines. De ces clichés qui auraient du finir au panier ou avoir été brûlées, mais en aucun cas avoir vu la lumière du jour. "
En conclusion, ce travail qui fige pour dénaturer ce qui est déjà un mensonge est assez abyssal par ses reconstructions et ses visions alternatives d'une réalité supposée. Ce qui est montré n'est pas réél, mais se base sur des souvenirs pour produire un effet qui lui-même … Génial !
Trish Morrissey, traduction de Jean-Pierre Simard
Publié le 23 février 2017
Sur le site de l'auteur/photographe on regardera avec profit les autres séries comme Ten People in a Suitcase. Vous n'avez pas fini d'être étonnés. C'est ici - même