Jeannie Abert — Requiem (pour 500 000 espèces disparues)
Où va le perdu ? Que faire avec le disparu ? Nouant des réalités que nos représentations disjoignent, les collages de Jeannie Abert révèlent les résonances intérieures soulevées par la combinaison d’éléments hétérogènes. Quand le changement climatique s'accélère les espèces disparaissent au plus tôt. Comme par mégarde, Jeannie Abert tente de reconstituer le puzzle des disparitions et de leurs effets avec ses collages hétéroclites, mais bienveillants à l'égard de ceux qui ne sont plus.
Au fil des séries « Les maîtres silencieux », « Les disparus », « Disparition imminente », « Joyaux », « Ruines », « Composition » s’élèvent des chants pour ce qui n’est plus, les vieux temples, la nature sauvage et surtout les espèces animales, végétales mises à mort par un homme prédateur dépeuplant la Terre. Le silence des animaux consommés, chassés, décimés, exterminés se voit traduit dans le registre du visible. Le corps d’une girafe amputé de son bas est accolé à la carte du Sud de l’Afrique, mamelle dont on trait les ressources, le sang, le soleil. Des vestiges de temples antiques flottent comme un aérolithe au-dessus de routes goudronnées. Les créations de Jeannie Abert laissent parler les innombrables espèces, les lieux qui ne sont plus. La puissance des images se loge en leur effet à la fois boomerang et miroir, dans le retour au visible de ceux que nous avons occis. Les noms des espèces menacées d’extinction rythment la série « Disparition imminente ». Chauve-souris crucifiée sur nos rêves tournés en cauchemars, au milieu d’un triangle sur sa pointe ; polyèdre menaçant le muriqui du Nord ; pschent annonçant la fin coiffant les cornes de la gazelle de Dama… Les regards des animaux, leur posture nous mettent à nu. Leur disparition signe l’imminence de la nôtre.
Avec « Les disparus » s’ouvre un tombeau pour les défunts, pour cinq cent mille espèces animales, un requiem visuel. Un monde amputé de sa biodiversité, privé de milliers d’espèces de mammifères, d’oiseaux, de poissons, de reptiles est-il encore un monde ? Comment vivre et pourquoi vivre dans un univers où ces dieux-totems ne sont plus ? Avec Jeannie Abert, on se met à rêver que les dépouilles opimes animales renaissent de leurs cendres.
Friedrich Angel (avec Véronique Bergen)
Publie le 23 février 2017
Jeannie Abert - Requiem -> 18/03/17
Progress Gallery - 4, passage de la Fonderie 75011 Paris