Savage Times ou le temps de la synchro pour Hanni El Khatib

Plus brut de décoffrage et rauque que Chris Issac, Hanni El Khatib suit un parcours un peu similaire à l'ex-surfer et acteur de David Lynch, il survit plutôt bien en vendant sa musique (on appelle ça faire des synchro) à des séries TV, des pubs et des BO de films, de Suits à Luther en passant par Nike et Californication. Mais comme son côté incongru plaît, il vit de sa différence à faire uniquement ce qui le branche. Pas mal pour un musicien d'aujourd'hui. Points de détail.

Hanni El Khatib est un Californien, comme Trump les déteste, non conventionnel et qui se débat avec des problèmes d'identités multiples qui font le sel (bleu) de sa musique. Avec des parents Philippins et Palestiniens, il adore autant le blues que le rockabilly le plus roots ( on dira punk rural) et le r'n'b. En plus, il adore innover - et c'est la raison de cet album à facettes comme les yeux d'une mouche - il est le simple résultat de ses dernières expérimentations sans direction, qui l'ont fait sortir des singles à peine enregistrés en studio, plutôt qu'attendre la matière d'un album qui aurait sonné d'une teneur plus continue. Et le jeu en a valu la chandelle car, le puzzle aux morceaux pas vraiment jointifs ouvre vers plein d'univers, du blues sec habituel aux tentations disco de Paralyzed, en passant par les cordes et le piano qui se glissent pour filer un petit côté orchestré qui cligne de l'œil au jazz et ses dérivés, comme sur Black constellation, ou vers Martin Rev et Alan Vega sur Till Your Rose Come Home

Plus loin, Gun Clap Hero est une réflexion sur la culture crétine des armes aux USA, sur fond de rock assez lent. Au final, il a tenté beaucoup d'approches pour élargir sa palette proto-punk déjà remise en forme par Dan Auerbach des Black Keys sur son second album Moonlight et cela fait sauter ( ô bonheur! ) d'un registre à l'autre. Il faut quelques écoutes pour apprécier le grand écart et la nouveauté du propos. Mais une fois l'oreille faite à cette redistribution de genres, c'est plus qu'addictif. C'est carrément super d'ouverture et de réussite.


En prenant appui autant sur les Strokes que les Black Keys, l'album balance son lot de mésaventures actuelles, des relations dysfonctionnelles aux identités culturelles en conflit, tout cela exposé avec des chansons simples, genre coup de poing dans ta face. Un vrai bon délire rock qui se termine par un surprenant Freak Freely - qu'on vous laisse découvrir seul- et qui n'aurait pas déparé un concert de Tom Tom Club. Pas la peine d'en rajouter, l'ouverture fait que s'il n'en vend pas des caisses, on va encore le solliciter pour s'aligner, via la pub ou les séries, sur l'air du temps…

Jean-Pierre Simard

 

Hanni El Khatib – Savage Times: The Complete Collection Vol. 1-5 (Innovative Leisure)