Va(tican) te faire foutre … Ok Karol ?
Huit ans après « Malacarne » et quatre ans après « Passes noires », le quatrième roman de Giosuè Calaciura quittait en 2006 le terrain sulfureux de la grande Mafia et des petits trafics siciliens de survie pour appliquer la même verve sombre et étourdissante, et une invention langagière peut-être encore plus vertigineuse, à Rome, et plus précisément au Vatican, un Vatican trafiqué et transfiguré s’inspirant (librement ou non, on en jugera) des 27 années de règne de Karol Wojtyla sous le nom papal de Jean-Paul II.
On nous ordonna prêtres et nous fûmes perdus. Le chiendent du doute avait pris racine, et pourtant nous l’avions, comme des jardiniers, coupé à chaque repousse, espérant ainsi fortifier la plante qui germait. Nous l’avions compris en traversant, pour traiter les affaires du séminaire, les sacristies des christs pantocrators bénissant qui, par incurie, perdaient des tesselles d’or de mosaïque. Nous les trouvions sous nos pieds. Nous pensâmes, Dieu nous met à l’épreuve. Nous les ramassions en cachette et, lors de nos après-midi de sortie, les remettions aux receleurs du sacré. Ils nous gratifiaient en échange de petite monnaie misérable, ce qu’il nous fallait pour les cigarettes de notre vice. Au retour, nous nous sentions coupables. Pas pour ces trafics de rien du tout mais pour l’appel des femmes qui retentissait en nous au point de nous rendre indigeste l’idée même du dîner au réfectoire. Nous nous attardions devant les vitrines du soir, sur le cours, pour regarder les employées coquettes, nous contemplions leur poitrine et le dessin de leurs formes sous les tenues de travail.
Tout au long des 190 pages de la traduction française proposée par Lise Chapuis chez
Notab/lia en 2017 (tête-bêche avec la réédition de « Malacarne », justement), la lectrice ou le lecteur seront hantés par ce redoutable « nous » de la narration, dissimulant aux regards inquisiteurs éventuels une mystérieuse camarilla de frères mineurs, paillards, buveurs et joueurs (de poker comme de farces presque potaches), tirant à malin escient les ficelles désordonnées d’un pontificat à plusieurs vitesses, dévoilant les grandes impostures pour mieux masquer leurs propres petites affaires. Dans une langue qui ne se repose jamais, Josuè Calaciura conte ainsi, par jeunes irrévérencieux interposés, heurs et malheurs des couloirs secrets du Vatican et des tournées mondiales à grand ou moins grand spectacle, oscillant entre la pourriture sans noblesse dépeinte par Francis Ford Coppola dans « Le parrain 3 », la bizarrerie assumée par Paolo Sorrentino dans sa mini-série télévisée « The Young Pope », qui semble bien contenir plus d’un clin d’œil à l’adresse de cet « Urbi et orbi », et la farce débridée caractérisant les belles errances de Vladimir Lortchenkov dans « Des mille et une façons de quitter la Moldavie » ou dans « Camp de gitans ».
Une intervention décisive s’avéra nécessaire lorsque fut livrée au Vatican une cave entière de fûts de vin qui, entassés devant les portes, rendaient difficiles entrées et sorties dans le désordre provoqué par cette erreur. Les frères administrateurs avaient beau accourir pour assurer en vain qu’ils avaient commandé quelques bouteilles de vin seulement puisque désormais, nous, les officiants, sommes les seuls à en boire de ce côté-ci de l’autel, les livreurs démontraient leur bonne foi en exhibant les bons de transport. Impossible de bloquer la livraison car cette cascade de gallons de vin était attestée par des documents, avec tampon « urgent » et rappels réitérés disant faites vite, les calices pour la communion sont à sec. Dans cette panique digne d’un miracle des noces de Cana, on chercha à éliminer les excédents dans les soupes populaires pour pauvres et les repas pour déshérités des associations de bienfaisance. Mais les plaintes des autorités exigèrent la suspension de ce type de ravitaillement : les cages des commissariats de police avaient été engorgées de vagabonds avinés et de clochards chahuteurs.
Dégringolant à toute allure les différents registres possibles pou un conte de cette ampleur et de ce rythme, courant dans les coursives, passant sans crier gare de la trépidation de la foi à la folie marchande, de la haute politique à la combine à deux sous, de la célébration de la vie à l’angoisse poignante de la maladie et de la mort, cette comédie tragique et corrompue provoque le rire aussi bien que l’effroi, et instille rapidement l’admiration sans retenue face à ces virevoltes qui ne sont pourtant guère primesautières. Et ce qu’en dit superbement Claro, dans le Feuilleton du Monde des Livres, est ici.
Le tintement de sa résurrection se répandit à son de cloches depuis Saint-Pierre, épicentre d’un séisme. C’est de là que fut battu le rappel pour tous les clochers qui se trouvaient dans le Ciel de Rome et au-delà et qui, interrogés, répondaient le pape est sain et sauf. Et comment ça s’est-il passé ? Alors ils racontaient à travers leurs tintements, développaient des explications, se perdant dans des ruisseaux de nouvelles harmonies et de sonnailles hors de propos car les grossières cloches d’appel au réfectoire des séminaires voulaient elles aussi dire leur mot, les timides carillons aux portes des curés s’unissaient également à cette merveille acoustique, enfin même les clochettes de messe qui accompagnent la célébration ne purent se retenir et, tintinnabulant, ourlaient à l’or fin le tintement des cloches.
Giosuè Calaciura - Urbi et Orbi - éditions Notab/lia
Charybde2 le 11/12/17
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