New York et le zen magistral de Raymond Depardon
Superbe exposition de dix grands formats photographiques du Maître Depardon chez Central Dupon . Tout y est juste et parfait. L'image, à la clarté impérieuse, attire silencieusement le corps comme l'esprit. L'envie d'y entrer plus que d'y succomber dit que tout est harmonie, lumières (c'est le printemps), matières des gratte-ciel, verres, briques, couleurs du ciel, des arbres, des publicités, signalétiques, voitures, camions...
En mai dernier, pour une exposition au French Institute (Fiaf) de New-York, François Hébel propose à Raymond Depardon de réaliser une «nouvelle» Correspondance new-yorkaise. 36 ans après, Depardon va accepter le même défi : envoyer une photographie par jour qui sera publiée quotidiennement par le journal Libération. Des prises de vue, toujours en argentique, mais cette fois en négatif couleur à la chambre 20x25…
Les Correspondances new-yorkaises m'ont fortement marquée. Et je ne suis pas la seule! Je suis donc particulièrement heureuse que Jean-François Camp m'ait demandé de participer à cette exposition qui regroupe, pour la première fois en France, les dix photographies de ce « remake ». Toutes sont tirées en grand format, comme pour La France de Raymond Depardon présentée à la BNF et également produite par Central Dupon, nous projetant ainsi au coeur de « Big Apple ». Sylvie Hugues
Dans “L’Art Philosophique” Baudelaire écrivait en introduction: “Qu’est-ce que l’art pur suivant la conception moderne? C’est créer une magie suggestive contenant à la fois l’objet et le sujet, le monde extérieur à l’artiste et l’artiste lui même.”
Et la magie opère immédiatement dans la séduction qu’elle produit aux yeux du “regardant”. Comme un charme certain et clair, si cher aux romantiques. La limpidité de la lumière et la sensualité de la couleur légèrement saturée produisent ce charme, comme le spectacle qui se déploie majestueusement devant soi. Le regardant est happé physiquement et ravi par ces miroirs tendus au dessus du réel. Il ne faut surtout pas chercher à résister à l’attraction de cette réalité reformulée par la sensibilité de Depardon.
Bien au contraire, il faut s’y abandonner, laisser ce mirage prendre possession de soi et, telle Alice s’enfoncer dans le pays déployé. Y succomber, se déplacer dans les grands tirages - format idéal qui assoit cette proximité et introduit une intimité rêvée - s’y perdre pour mieux s’y révéler.
Il est bien question d’un voyage à l’intérieur de l’image. Celle-ci fonde sa stabilité par un cadrage irréprochable, tout s’organise harmonieusement à l’intérieur de l’image, tout se passe dans ce hors temps fixe portant les mobilités du regard. Toute perturbation éliminée, l’image repose en cette pureté cristalline. L’aperçu et le perçu sont conjugués, irrémédiablement entremêlés, tressés, par une maïeutique de l’improbable et pourtant, par cette présence au monde certaine, qualité du paradoxe énonçant architecturallement la Présence à travers la lumière, le plan, les actions et les acteurs de ce plan, où tout est rendu à sa simplicité vivante et à son être là.
Il est des miroirs précieux qui ne mentent pas, d’où la sensibilité distanciée qui reçoit la sensualité immédiate, presqu’objective du monde, alerte et totalement pacifiée aux situations qui se racontent. Car, Raymond Depardon est un griot assez sage pour ne pas éblouir ni chercher à séduire; tout arrêté à cette lenteur de l’écriture qui prend le temps à témoin et le coule, fondeur des spatialité et des voyages, dans le présent de sa démarche.
Le dire en silence et dans l’émerveillement de la vie révélée, c’est dire que le temps est ce compagnon investi de toujours par le photographe, la semeuse d’argent des pièces de cinq francs ou l’éffigie ouvrant la route sur le capot des Bentley et autre Rolls. Pour un photographe de la simplicité avouée, un marcheur idéal, il s’agit sans doute d’un aimable pied de nez que le sort adresse si secrètement aux faiseurs de rêves, compagnons du vent.
Dix grands formats photographiques témoignent de cette sensibilité prestigieuse et simple, chez Central Dupon. Tout est juste et parfait, l'image a la clarté impérieuse, attire silencieusement le corps et l'esprit. L'envie d'y entrer plus que d'y succomber dit que tout est harmonie, lumières (c'est le printemps) ,matières des gratte-ciel, verres, briques, couleurs du ciel, des arbres, des publicités, signalétiques, voitures, camions... Incroyable de détails et de limpidités et, pourtant tout est calme, fluide, dans un état d'être proche du Zen à offrir la réalité des lieux photographiés dans Manhattan, comme dans un prisme parfait de douceur et de netteté.
Spectaculaires et spéculaires, le médium photographique, par la chambre 20x25 et les films négatifs Kodack Portra 200 et 400 asa, magnifiquement développés sur place, donnent cette netteté et cette lumière. C'est dû selon Raymond Depardon au PH neutre de l'eau new yorkaise , bien meilleure que l'eau parisienne, les films donnant leur meilleurs résultats dans cette condition de PH neutre. d'où cette impression que sa photographie a inscrit tout le champ du réel et même plus dans l'image, parce qu'un saut perceptif supérieur est donné par le lecture et la réception de l'image, dans la présence des éléments qui la constituent et notamment par sa "vibrance", c'est à dire la qualité vibratoire dans la couleur et la perception des matières...
Raymond Depardon est à plus d'un titre un Maître ZEN. La situation de cette photographie, quelques 35 ans après la première série réalisée pour Libération sur Manhattan et New York, réédite cette vision apaisée et picturale de ce qui traverse la vie: personnes marchant dans la rue, camions, passants, l'être là de la vie en ces lieux mythiques, assez paisibles, loin des clichés de foules envahissantes de Madison Avenue ou de Broadway. Une superbe leçon de photographie.
Merci à Central Dupon et à Jean-François Camp et bien sûr… à Raymond Depardon.
Pascal Therme le 8/11/17
Raymond Depardon, Correspondance New-yorkaise 2017 -> 12/01/18
Central Dupon 74, rue Joseph de Maistre 75018 Paris