"Frowst", une belle famille de photos, par Joanna Piotrowska

L'album de photos sorti le dimanche du tiroir proclame l'union familiale à travers le quotidien le plus basique, jusque dans ses aspects les plus saugrenus, jusque dans les lieux les plus improbables. Du moins nous le pensons. Création sophistiquée d'un faux album de famille, "Frowst" démontre qu'il n'en est rien, que chaque image dans son acception polysémique nous oblige à un autre regard. Relisez les vôtres avec cet éclairage et vous allez faire surgir un tout autre roman familial. C'est aussi troublant que réellement magistral.

Joanna Piotrowska joue du semblable pour mieux proférer ses différences. La construction de l'espace est en elle-même ambiguë. Les figurants de chaque session ou image sont bien là, apparemment ensemble, racontant une même histoire (mais est-ce bien la leur ?). Formellement, c'est impeccable, les éléments sont réunis pour raconter le roman familial qui se déploie en vacances, qui se joue dans les rencontres, se cristallise pour arriver à la forme immuable qu'on connait. Mais, comme dans un film de Lynch, la confusion s'installe, les éléments pris un par un signifiant bien quelque chose, et tendant vers un même but, sauf qu'ils divergent tous. Les regards ne sont pas portés dans la même direction, les attitudes ne semblent jamais raconter ce qu'elles présupposent et les cènes montrées ne disent jamais vraiment ce qu'elles figurent. De là naissent de multiples tensions dans le regard porté sur l'image, dans les attitudes divergentes des personnages en présence. Des frères côte à côte sans qu'on sache bien pourquoi, mais dénudés et qui créent par leur seule présence une tension érotique. Ou encore deux soeurs (le sont-elles ?) dans une posture languide toutes deux habillées de robes, mais aux motifs différents, avec un regard qui s'envole au-delà de la photo en créant une autre distorsion. Les images ne se donnent pas, elles se posent comme autant de questions, de problèmes à résoudre. Comment entrer dans cette dimension picturale ? Comment lire ce qui se dérobe sous nos yeux, car montré de manière à suggérer autre chose?

Jean-Pierre Simard