The Beach Boys : souriez, vous avez explosé !
C'est probablement "l'album jamais sorti" le plus célèbre de l'histoire. Pendant plus de quatre décennies, le Smile des Beach Boys a alimenté légendes, polémiques et analyses des exégètes de l'oeuvre du groupe californien. En 2011, Smile voyait enfin le jour, dans une version restaurée façon trésors des pharaons à destination de tous les archéologues du rock. Et des autres…
En 1966, à 24 ans, Brian Wilson est au sommet de son génie créatif et il décide de donner une suite symphonique à Pet Sounds qui vient de marquer sérieusement les consciences et de donner aux Beach Boys, avec lesquels il a cessé de tourner, leur plus grand succès public dans les pays anglo-saxons. Il rêve de réaliser le chef-d'oeuvre pop ultime. Pour ce faire, le reclus californien, qui a aussi viré sa brutasse de père de la direction des affaires du groupe et de la production des albums, fait équipe avec son ami le parolier Van Dyke Parks et instaure une nouvelle méthode de travail, en engageant le Wrecking Crew (les musiciens de session de Phil Spector) plus aptes à jouer ce qu’il entend dans sa tête que les Beach Boys eux-mêmes auxquels il demande simplement de faire les voix, sans particulièrement participer à la composition des titres. Et, en lieu et place d’un enregistrement en direct et en studio de chaque titre, dans la continuité, il va privilégier le travail en séquences emboîtables, chacune avec un son et une texture particulière : certaines prévues pour des titres, comme les bribes éparpillées de Heroes & Villains se retrouvant mixées à d’autres titres sur d’autres albums. Et le second éclair de génie, c’est de considérer le studio, comme un instrument à part entière; la même piste est alors suivie par les Beatles et les Stones, avec des infortunes diverses pour les Stones. Pourtant, quatre-vingt cinq sessions d’enregistrement plus tard, en mai 1967, Wilson va jeter finalement l’éponge, mentalement ruiné par les conflits à l’intérieur du groupe, un abus de dope et une instabilité mentale galopante.
Pour mieux sentir le feeling de l’époque et la plage sous ses pieds, Brian a fait installer un immense bac à sable sous le piano pour se connecter à l’esprit californien, au beau milieu du salon de la villa qu’il partage avec sa compagne Marylin, à laquelle il a offert quelques tubes. Mais bientôt les chiens de la maison, ayant flairé l’aubaine, souillent l’endroit qui comporte aussi une tente avec coussins et grands tapis pour se défoncer au calme. Envahie par les parasites et profiteurs, la femme de Wilson vire tout le monde, en essayant de rétablir le calme et son mariage, mais le mal est fait, car Brian qui vient d’écouter le Strawberry Fields Forever de Lennon-Mc Cartney ne se sent pas à la hauteur de ce qui vient de lui filer un choc et préfigure de quelques semaines le Sgt Pepper’s Lonely Heart Club Band. Et l’album ne verra jamais le jour en 1967, parce qu’en plus des problèmes de rivalité au sein du groupe, avec les chanteurs qui ne comprennent rien à la prose de Van Dyle Parks (de la merde hippie d’après Mike Love) qu’ils ne veulent pas chanter. Il y a aussi le petit problème d'intendance avec Capitol, reposant sur un « léger différent » de 18 millions de dollars de royalties qui les incite à monter leur propre label Brothers qui sera distribué par la major US. KO technique et début d’un retrait progressif du monde la musique, pour cause d’isolation sensorielle à l’intérieur de la tempête dans son crâne pour une quinzaine d’années.
Good Vibrations ... seul témoin de ce qu’aurait pu être Smile pendant des années, en était aussi le teaser voulu par Capitol pour vendre l’album, au vu des ventes millionnaires du single. Conçu pendant Pet Sounds et écrit par Tony Asher, il sera enregistré par le Wrecking Crew durant ces mêmes sessions, mais finalisé plus tard. C’est là que Wilson a trouvé son idée de conception modulaire, pour pallier son absence de connaissance de la composition classique. Il y a une affinité avec Caroline, No (qui parle de sa copine sortant de chez le coiffeur raccourcie) et un clavecin qui soutient les vocaux surfs des boys, mais le theremin fait entrer le morceau dans l’universel baba, et on parlera sans discontinuer, depuis lors, de cette vibrations à partager par n’importe quel moyen. Le label a bien freiné des quatre fers pour que le titre ne sorte pas, mais 50 000 $ de prod et des kilomètres de bande plus tard, la réussite était là…
A la demande du label, les Beach Boys persuadent Brian de les aider à écrire un album de remplacement qui sortira sur Brother Records, Smiley Smile. Celui-ci verra le jour entièrement enregistré chez Brian, en septembre 1967, avec les Beach Boys au grand complet. Des séances précédentes, ils ne retiennent que Good Vibrations, Heroes and Villains et la fin de Wind Chimes, écrivent une nouvelle version de Vege-Tables, Good Time Mama et Hawaïan Song, puis une version simplifiée de Fire, He Gives Speeches, Wind Chimes, Wonderful, Whistle In et Gettin Hungry. L’album rendu sort en septembre et c’est le four total qui va briser la carrière des Beach Boys, des années durant. Muselés à la production, les Beach Boys sortent à quelques mois d’intervalle Wild Honey qui contient Cool, Cool Water, relecture de Love to Say Dada, et Mama Says, chute de leur version de Vegetables post Smile. L’album Sunflower tentera de remonter la barre en se servant de Cool Cool Water. Mais flop (bis !)
En 1971, ils signent chez Reprise qui voudrait profiter aussi des séances de Smile, mais c’est en repartant de Surf’s Up qu’ils offriront au label, un concept album à succès, conseillé par leur nouveau manager Jack Rieley et articulé autour de trois idées : les paroles traiteront de l’écologie naissante ; Carl Wilson en sera le responsable musical ; la pièce centrale de l’album sera la chanson éponyme, chef d’œuvre inédit de Smile. Le résultat fonctionne et, malgré ses réticences, Brian Wilson accepte de terminer Surf’s Up en juillet 71. Il y livre l’un de ses plus beaux morceaux, ’Til I Die (Je suis un bouchon sur l’océan, flottant sur la mer en furie... Je suis un rocher durant un glissement de terrain, roulant sur la montagne... Je suis une feuille un jour de grand vent, bientôt, je vais être emporté... Jusqu’à ma mort...).
S’expliquant avec Julie Siegel de Cheetah Magazine, Wilson déclarait au moment où sortait Good Vibrations : « Les empires, les idées, les vies, les institutions finissent par tomber comme des dominos (Columnated ruins Domino) Le mirage du surf est terminé (Surf’s Up), un peu d’espoir à entrevoir du côté de la jeunesse, il faut retourner à l’amour et à ce que savent les jeunes. C’est une chanson d’amour et les jeunes montrent la voie. »
Mais Smile ne cessera d'obséder son créateur. En 2004, sans les voix des autres garçons de plage, avant d’en offrir, en 2011 enfin, la version siglée et vocalisée par le groupe en entier.
D’après la presse américaine, musicale comme généraliste, Smile est le chef d’œuvre inconnu des Beach Boys, le chainon manquant à l’histoire du rock américain entre Pet Sounds et le psychédélisme californien de l’Airplane, du Dead ou de Quicksilver qui déboula en 1967, en même temps que le Sergent Poivre des Scarabées liverpuldiens. Cette symphonie pop sous les couleurs de l’americana devait faire un lien entre les prémisses musicaux de l’Histoire américaine et la révolte de la jeunesse américaine, vue par Brian Wilson, comme les forces vives du changement, contre la réaction ambiante. Et ses nombreux bootlegs et variations , comme le fameux pressage Vigotone, vont enfin pouvoir retourner à la cave, puisque la matrice des albums Smiley Smile/Wild Honey et Surf’’s Up va enfin pouvoir prendre sa place aux côtés du Sergent Poivre que Brian Wilson s’était imaginé, seul, pouvoir concurrencer.
Smile version 2011
Le premier CD est constitué de 19 titres qui forment l’album définitif, augmenté de 9 prises alternatives, quand le second offre d’autres pistes d’enregistrement, par d’autres mix. Ayant choisi la piste de l’Americana comme fil de conduite, Brian a sauté de sa planche de surf pour aller puiser du côté du Gershwin de Rhapsody in Blue, et de toutes les musiques américaines précédentes, et comme la piste symphonique est privilégiée, on passe aussi bien de la musique pompière de John de Souza qu’à tous les registres pop connus, filtrés et “ puzzlés” en studio. Mais le but de Brian étant de montrer que la nouvelle culture, la contre-culture même, est l’avenir de l’humanité, il en profite pour se réinventer en George Martin et les quatre Beatles d’un coup. Position, ô combien insoutenable qui le fera finalement disjoncter quand McCartney viendra lui faire écouter en avant-première She’s Leaving Home.
1. Our Prayer (1:06) enregistré en octobre 66, est bouclé en deux jours. Selon Brian, l’introduction a cappella est de la « musique sur laquelle des gens prieront un jour »
2. Gee (0:51) est couplé au titre précédent sur les autres versions
3. Heroes And Villains (4:53) est enregistré en de nombreuses fois entre l’automne 66 et mars 1967 avec des multiples variations qui en feront un reservoir d’idées pour d’autres titres. Au depart, c’était juste un instrumetal !
4. Do You Like Worms (Roll Plymouth Rock) (3:36) enregistré les 18 octobre et 21 décembre 66 dans deux studios, Western et Columbia
5. I’m In Great Shape (0:29) + 6. Barnyard (0:48) sont conçus comme des parties ajoutées en octobre 1966 à Heroes and Villains, ils ne trouveront leur autonomie que beaucoup plus tard
7. My Only Sunshine (The Old Master Painter / You Are My Sunshine) (1:57)
8. Cabin Essence (3:32) Commencé en 1966, il sera finalisé au printemps 1968 pour 20/20
9. Wonderful (2:04) enregistré le 25 aopût 1966 avec ses arrangements de cuivres, termine avec les voix au jour de l’an 67.
10. Look (Song For Children) (2:31) + 11. Child Is Father Of The Man (2:14) enregistrés au Western Recorder le 12 août 67
12. Surf’s Up (4:12) est la raison du depart de Van Dyke Parks de l’album ne supportant pas l’hostilité de Mike Love, le 23 janvier 1967
13. I Wanna Be Around / Workshop (1:23)
14. Vega-Tables (3:49) débutée courant novembre 1966, avec le renfort de Paul McCartney qui y mastique des carottes en rythme, elle est finalisée par Carl Wilson fin avril 1967.
15. Holidays (2:33) enregistré le 8 septembre 1966
16. Wind Chimes (3:06) est enregistré au Gold Star avec le Wrecking Crew le 3 août
17. The Elements : Fire (Mrs. O’Leary’s Cow) (2:35) 28 novembre 1966, Brian Wilson enflamme du bois dans un seau et demande aux musiciens de porter des casques de pompier. La musique de Fire est franchement flippante. Avec cette descente de demi-tons au piano, ses dissonances, grincements des violons et son rythme tribal à la batterie, on est bien loin de I Get Around. Brian Wilson, effrayé par Fire, abandonne The Elements, laissant à jamais inédites les parties consacrées à l’air et à la terre (l’eau fera sa réapparition avec Cool Cool Water/ I Love to Say Da Da).
18. Love To Say Dada (2:32) finalisée par les Beach Boys, elle est terminée le 18 mai 1967.
19. Good Vibrations (4:13) ou le bonheur de la composition modulaire. Commencé le 17 février 1966, le titre est abandonné car il ne sort pas comme Wilson l’entend. Il est finalisé en octobre et cartonne dans la foulée en single; ce qui ouvre la voie à l’album, dès lors attendu par Capitol qui pense pouvoir capitaliser sur un album du même tonneau…
Jean-Pierre Simard le 1/12/17
Smile The Beach Boys - Capitol