Le funk vaudou it yourself des années 70
Quand on s'ennuie dans la musique, on peut toujours revenir aux trucs pour se secouer le popotin avec furie - et si possible en rythme. Et quoi de mieux que le funk sulfureux, revendicatif et addictif qui court de la fin des années 60 aux années 80 ? C'est ce que documente au mieux la compilation "Running the Voodoo Down".
Si le titre générique de la compilation est un des plus fameux du Miles Davis électrique issu de Bitches Brew, c'est qu'il illustre ce moment de la fin des 60's qui voit toutes les musique se mélanger pour tenter de se redéfinir chacune à leur manière sous la houlette du funk. Même si c'est James Brown qui ouvre le ban historiquement avec Talkin' Loud & Sayin Nothing de 1970 , suivi de peu par Sly qui a fait danser tout Woodstock, avant que la soul ne s'y transforme allégrement, quitte à reprendre, côté Isley Brothers Le Ohio de C,S,N,Y (devenu Ohio Machine Gun) ou pour Undisputed Truth, un Bob Dylan déjà revisité par Hendrix sur Like a Rolling Stone, quand ce n'est pas les Chambers Brothers qui appellent franchement à la révolution, sur The Time Has Come.
On est sur la très nixonienne ligne de fracture des années 60, quand Tricky Dicky décide de faire faire le ménage par la CIA et le FBI auprès de ces fauteurs de trouble hippies étudiants de Berkeley et communistes colorés du Black Panthers Party, à monter des procès bidon et faire des rafles ou faire tirer ouvertement par la garde nationale sur des manifestants pacifiques (Four dead in Ohio …)
Pour une fois, c'est juste l'aspect black music qui prime et rend hommage aux maîtres en faisant une coupe transversale dans les registres musicaux pour prendre un truc au psychédélisme des guitares, un autre aux rythmiques funk, puis y incorporer du jazz joué différemment avec les Headhunters, Don Cherry et son miraculeux Brown Rice, James Blood Ulmer ou Keih Jarrett ( très barré hippie pour le coup !), tout en prenant en compte les diverses écoles soul de l'Est comme du Sud avec le maintenant ignoré Swamp Dogg dont l'album Total Destruction to Your Mind fut un classique du groove furieux. Et au rayon classique psychoactif, on trouve ici une belle version du Maggot Brain de Funkadelic avec un Eddie Hazell fou furieux de précision …
En gros, rien à jeter. On y côtoie aussi les obscurs Fugi, Pure Hell, William Fischer ou Warlock ( qui ne sont pas le Grateful Dead dans sa première formation, ni le groupe de métal allemand 80's) ainsi que les Buddy Miles et les anciens héros de l'époque comme Eugene McDaniels. Mais la vraie grande découverte de ce double album c'est du côté du mélange des genres qu'elle réussit le mieux son compte, en alignant un morceau rare de Lightnin'Rod avec Hendrix le Doriella du Fontaine, jam préfigurant le rap des Last Poets ( à juste titre puisque Lightnin'Rod n'est autre que le peusdo de Jalal Mansur Nuriddin, lui-même fondateur des susdits sur son album Hustlers Convention de 1973, tout comme avec des version rares de James ou Miles … On y trouve bien les Meters, mais il y manque, à mon avis, le Dr John dans sa période justement vaudou.
Entre psychédélisme funk et funk jazz qui louche vers l'Afrique, en direct des USA, tout est à retenir, comme l'esprit de l'époque. Pas encore déçu, pas encore le moral parqué dans le ghetto, avec des envies de vivre bigger than life et l'expression idoine en pleine réinvention d'une musique qui communie sur la piste de danse et dans les rues toujours au bord des flammes. Un peu comme aujourd'hui.
Révision pour les uns, découverte pour les autres : en tout cas, un truc assez méchant pour voir arriver l'automne sans crainte, avec encore quelques idées pour se révolter en musique et en nombre. Le funk, c'est toujours fédérateur.
Jean-Pierre Simard