Des Choses et d'autres à propos d'Albert Renger-Patzsch

Auteur d’une œuvre monumentale déployée sur presque cinquante ans, Albert Renger-Patzsch (1897-1966) est un des créateurs de la Nouvelle Objectivité, née dans l’Allemagne des années 1920. Son travail fut déterminant dans le processus d’affirmation et d’autonomisation de la photographie au sein de l’art moderne. D'un côté, une vision, de l'autre l'évacuation totale du contexte politique allemand. En conséquence de quoi Benjamin et Brecht lui ont taillé un short. Rétrospective, magnifique et sans enjeux au Jeu de Paume. 

Stapelia variegata, Asclepiadaceae, 1923  Albert Renger-Patzsch Archiv / Stiftung Ann und Jürgen Wilde, Pinakothek der Moderne, Munich

L’art est parvenu à un tournant. Depuis le début du siècle se font jour des tentatives pour sortir des chemins battus et inventer de nouvelles lois.   Albert Renger-Patzsch

Albert Renger-Patzsch

Renger-Patzsch contribua au renouveau du réalisme photographique par une rigueur formelle et technique exemplaire, son refus des expressionnismes et stylisations picturales, son sens de la composition et l'attention aux détails, aux structures et aux formes, avec une construction nette et claire de l’image. Ces prémices firent de la photographie le médium privilégié d’un nouveau type d’images et d’imaginaire artistique, en parfaite résonance avec une période historique marquée par l’industrialisation et le développement généralisé de la technologie.

Albert Renger-Patzsch installa, par son rôle singulier, la photographie dans le panorama des arts de l’image de son temps en privilégiant les propriétés intrinsèques de celle-ci, en y introduisant les possibilités créatives du documentaire. De plus, la simplicité et l’originalité de ses œuvres tiennent également à la manière dont il sut repenser et articuler les composantes réalistes et objectives de la photographie avec ses potentialités artistiques, poétiques et phénoménologiques. Il participa ainsi à l’élargissement de l’expérience subjective de l’image. La production d’Albert Renger-Patzsch, qui fut un photographe extrêmement prolifique, embrasse un vaste éventail de thèmes, de typologies et de genres. Cette exposition d’anthologie vise à redécouvrir et à célébrer le legs précieux de ce grand artiste, dont l’œuvre offre un support de réflexion idéal sur les qualités et la pertinence de la photographie dans le contexte artistique et culturel actuel. Mais, comme dans toute structure muséale actuelle, on évacue le politique pour faire beau et propre - Monsieur Propre lave les raies beaucoup plus blanc…  Alors, on ressort la même critique que ses contemporains, les mises en perspective de Walter Benjamin et Bertold Brecht qui s'étonnaient déjà du peu de réalité de ce monde magnifique autant que désincarné. 

Albert Renger-Patzsch

Rendre justice par l’image aux réseaux de lignes strictes de la technique moderne, aux treillis aériens des grues et des ponts, au dynamisme des machines de mille chevaux, la photographie est sans doute la seule à pouvoir le faire.  Albert Renger-Patzsch

Démontée par Walter Benjamin dans son Histoire de la Photographie et Bertold Brecht dans sa critique d'un art objectif, l'œuvre d'Albert Renger-Patzsch est remise en question pour sa neutralité qui ne cite jamais le contexte de sa prise de vue ni encore moins ce qu'il signifie; en ces termes : « Ce qui complique encore la situation c’est que, moins que jamais, la simple “reproduction de la réalité” ne dit quoi que ce soit sur cette réalité. Une photographie des usines Krupp ou de l’A.E.G. ne nous apprend pratiquement rien sur ces institutions. La réalité proprement dite a glissé dans son contenu fonctionnel. La réification des relations humaines, par exemple à l’usine, ne permet plus de les restituer. Il faut donc effectivement “construire quelque chose”, “quelque chose d’artificiel”, “de posé”. L’art est donc tout aussi nécessaire. »

Albert Renger-Patzsch, Zeche “Heinrich-Robert”, Turmförderung, Pelkum bei Hamm, 1951, Albert Renger-Patzsch Archiv / Stiftung Ann und Jürgen Wilde,
Pinakothek der Moderne, Munich
© Albert Renger-Patzsch / Archiv Ann und Jürgen Wilde, Zülpich / ADAGP, Paris 2017

Ce dont l’accusent ses partisans, en tout cas ceux du « style pictorialiste » – la reproduction mécanique de la forme –, fait ici sa supériorité sur tous les autres moyens d’expression. Le rendu absolument juste de la forme, la finesse de la gamme tonale depuis les éclats les plus vifs jusqu’aux ombres portées les plus profondes confèrent à un cliché photographique techniquement réussi la magie du vécu.
Laissons donc l’art aux artistes et efforçons-nous de créer, avec les moyens de la photographie, des images capables d’exister par leurs qualités photographiques – sans emprunter à l’art. 
Albert Renger-Patzsch (Objectifs) 

Zeche “Graf Moltke”, Gelsenkirchen-Gladbeck [Charbonnage « Graf Moltke », dans le quartier de Gladbeck à Gelsenkirchen], 1952-1953 Albert Renger-Patzsch Albert Renger-Patzsch Archiv / Stiftung Ann und Jürgen Wilde, Pinakothek der Moderne, Munich. © Albert Renger-Patzsch / Archiv Ann und Jürgen Wilde, Zülpich / ADAGP, Paris 2017

A posteriori, la photographie étant entrée dans le champs de l'art, la tentative de Renger-Patzsch, dans son livre Objectifs, posant la photographie comme un "ailleurs de l'art" ( voir plus haut) tombe aussi à l'eau au XXIe siècle. Et le plus beau tour que l'Histoire lui ait joué est bien de l'avoir intégrée à ce titre, comme un photographe artistique. Il est même de plain pied dans la conception actuelle d'un art désincarné qui plaît. Celui d'une valeur d'échange symbolique pour les collectionneurs. A s'être affranchi du monde, pour mieux le décrire, il ne peut que plaire davantage à ceux qui le dominent… 

Jean-Pierre Simard le 13/11/17  

Landschaft bei Essen und Zeche “Rosenblumendelle”][Paysage près d’Essen et charbonnage « Rosenblumendelle », 1928  Albert Renger-Patzsch   Albert Renger-Patzsch Archiv / Stiftung Ann und Jürgen Wilde, Pinakothek der Moderne, Munich. © Albert Renger-Patzsch / Archiv Ann und Jürgen Wilde, Zülpich / ADAGP, Paris 2017

Albert Renger-Patzsch  Les choses - > 21/01/ 2018
Musée du Jeu de Paume - Concorde -  1, place de la Concorde 75008 Paris