Rétrospective Akira Kurosawa, seconde partie

En cinquante ans de carrière, Akira Kurosawa a touché à tous les genres : du film d’action à la fresque historique, en passant par le film noir, comme le drame intimiste... Grand féru de littérature, il a également transposé de nombreux auteurs à l’écran : de Shakespeare (Le Château de l’Araignée) à Maxime Gorki (Les Bas-Fonds), en passant par son compatriote Shugoro Yamamoto (Sanjuro, Barberousse).

L'Ange Ivre

Kurosawa a été l’un des plus importants ambassadeurs japonais à l’étranger car son œuvre est indissociable de son pays. Ses films sont comme autant de témoignages sur le Japon – aussi bien médiéval (La Forteresse cachée) que contemporain (L’Ange ivre) – dans lesquels le cinéaste fait preuve d’un regard empreint d’humanisme, mais critique, sur la société nippone. Son réalisme visionnaire fait de Kurosawa rien de moins qu’un double cinématographique de Dostoïevski, l’une de ses principales références littéraires. Cinéaste influencé par la culture occidentale, il finira par l’influencer à son tour ; Martin Scorsese, Clint Eastwood, George Lucas... de grands réalisateurs d’aujourd’hui vouent un culte à son œuvre.

Cette rétrospective en deux parties nous replonge dans la filmographie du maître japonais au sein de la Toho, de ses premiers pas en tant que cinéaste durant la Seconde Guerre mondiale à sa consécration dans les années 1960. Huit films de Kurosawa sont présentés dans cette seconde partie, dont deux encore inédits en France.

Barberousse

Le Plus Dignement1944 (Ichiban Utsukushiku- Alors que les combats font rage dans le Pacifique, les civils se mobilisent de leur côté pour participer à l’effort de guerre. De jeunes ouvrières volontaires se sont engagées au sein d’une usine fabriquant des lentilles pour l’artillerie. Avec courage et patriotisme, ces filles sont déterminées à augmenter leur cadence de productivité, malgré la fatigue et les souffrances engendrées... Œuvre indissociable de son contexte « guerrier », Le Plus Dignement n’ en gardera pas moins son importance aux yeux de Kurosawa qui continuera à chérir le film tout au long de sa carrière.

Un Merveilleux dimanche 1947 ( Subarashiki Nishiyobi) - Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la ville de Tokyo est sous les ruines. Le jeune couple formé par Yuzo et Masako a tout perdu pendant le conflit. Chacun est obligé de vivre séparément, lui chez un ami, elle chez sa sœur. Comme tous les dimanches, ils se retrouvent pour passer la journée ensemble, rêvant de jours meilleurs. Mais Yuzo se sent de plus en plus accablé par cette situation. Masako, qui refuse de se laisser abattre, va tout faire pour redonner à son compagnon sa joie de vivre perdue...  Entre néoréalisme et émerveillement, un Kurosawa inédit ici. A découvrir.

Chien Enragé

L'Ange Ivre 1948 ( Yoidore Tenshi)- Suite à une rixe qui a mal tourné, Matsunaga, gangster respecté d’un quartier malfamé de Tokyo, se rend chez le docteur Sanada pour faire soigner sa blessure. Ce dernier lui apprend qu’il est atteint de tuberculose, mais Matsunaga ne veut rien savoir et continue de mener un train de vie excessif. Le docteur, lui-même alcoolique, va tout faire pour convaincre le jeune truand de se soigner... Cette œuvre marque également la rencontre entre le réalisateur et celui qui deviendra son acteur fétiche, Toshiro Mifune avec lequel il tournera seize films. Son incroyable charisme finit presque par éclipser le personnage du médecin – joué par un autre fidèle de Kurosawa, Takashi Shimura –, à la base héos de cette histoire. Lorgnant à la fois vers le film noir américain et l’expressionnisme européen, L’Ange Ivre sera un grand succès à sa sortie au Japon et lancera les carrières de Kurosawa et de Toshiro Mifune.

La Forteresse Cachée

Chien Enragé 1949 - ( Nora Inu) - L'inspecteur de police Murakami découvre avec stupeur qu’il s’est fait voler son arme de service dans un autobus bondé. Rongé par la culpabilité, il décide de retrouver le voleur au plus vite et rejoint, pour cela, les rangs de l’inspecteur Sato. Lorsqu’il apprend que son colt a servi à tuer un innocent, Murakami n’a plus qu’une chose en tête : mettre la main sur le coupable avant que son arme ne serve à nouveau... Ecrit dans la veine de Simenon, c'est un vrai polar qui use de tous les codes du noir, en se basant sur un fond néo réaliste pour parfaire le portait politique qu'il veut installer. C'est peu dire qu'il atteint son but …

Vivre 1952 (Ikiru) - Si vous devez entrer dans l'œuvre de Kurosawa, celui-ci est une porte d'accès indépassable. Watanabe est chef de service du Bureau d’Accueil des Habitants depuis plus de vingt-cinq ans. Son travail consiste à tamponner des formulaires toute la journée. Le soir, il rentre chez lui auprès de son fils et sa bru qui n’attendent qu’une chose : la mort du vieil homme et l’héritage tant convoité. Lorsque Watanabe apprend qu’il est atteint d’un cancer de l’estomac incurable, il décide de changer son quotidien et de faire quelque chose d’utile, une fois dans sa vie...  A ma connaissance, le plus beau combat contre la bureaucratie jamais filmé - et gagné. Excusez du peu.

Le Plus Dignement

La Forteresse Cachée 1958 ( Kakushi-toride no san-akunin) - Le clan des Akizuki vient d’être vaincu par leur rival, les Yamana. Deux petits escrocs querelleurs, Matashishi et Tahei, vont se retrouver mêlés à cette guerre des clans en croisant sur leur route un homme puis une femme dont ils ignorent la véritable identité. Il s’agit du samouraï Rokurota, chargé de la protection de la princesse d’Akizuki. Attirés par le trésor qu’ils transportent avec eux, les deux compères vont les suivre jusqu’au royaume Hayakawa où ils pourront tous trouver refuge... Vous avez là le modèle du scénario de la Guerre des Etoiles, rien moins ! et c'était déjà un film d'action à grand spectacle en 1958…

Sanjuro

Sanjuro 1962 (Tsubaku Sanjuro) -  Neuf jeunes samouraïs sont réunis pour célébrer leur victoire; ils pensent avoir enfin réglé les problèmes de corruption qui gangrènent leur clan grâce à leur alliance avec l’inspecteur Kikui. Ils déchantent rapidement lorsqu’un inconnu leur annonce qu’ils ont été bernés par ce soi-disant allié. En effet, quelques minutes plus tard, Kikui leur tend un piège. Ils ne devront leur salut qu'à l’aide de cet homme mystérieux. Il s’agit de Sanjuro, un ronin aussi fruste que fin stratège, qui décide de les prendre sous son aile... La célèbre scène des camélias en est un exemple criant, le héros parvenant à remporter la lutte finale à l’aide de simples fleurs, lui d’habitude si porté par les armes. Le ronin s’est finalement laissé convaincre par la femme du gouverneur pour qui « un bon sabre doit rester dans son fourreau ». Film au rythme implacable et au scénario brillant, Sanjuro est l’exemple type d’une suite réussie – et ayant même, pour certains, réussi à surpasser l’original Yojimbo.

Un Merveilleux dimanche

Barberousse 1965 (Akahige) - « J’avais quelque chose de particulier en tête en faisant ce film, parce que je voulais faire quelque chose que mon public voulût absolument voir, quelque chose de si magnifique que les gens seraient en somme obligés de le voir. Pour réussir cela, nous avons tous travaillé plus dur que jamais, en essayant de ne passer aucun détail sous silence, en souhaitant nous affranchir de toutes les difficultés. » (A. Kurosawa) Avec ce film-fleuve de plus de trois heures, le cinéaste japonais atteint bel et bien son objectif en signant là une œuvre proche de la perfection qui suit le parcours initiatique du jeune Yasumoto, de ses débuts contraints dans le dispensaire du Dr Barberousse à son épanouissement personnel et professionnel aux côtés de cette figure quasi christique de médecin.

Vivre

Jean-Pierre Simard (avec Carlotta)

Rétrospective Akira Kurosawa, ressortie en salles le 25/01/17