Bien commun : l'exemple des boîtes à livres gratuites

Les biens communs, ou tout simplement communs, sont des ressources, gérées collectivement par une communauté, celle-ci établit des règles et une gouvernance dans le but de préserver et pérenniser cette ressource. Des logiciels libres aux jardins partagés, de la cartographie à l’énergie renouvelable, en passant par les connaissances et les sciences ouvertes ou les AMAPs et les épiceries coopératives, les « Communs » sont partout ! 

En d’autres termes on peut définir les communs comme une ressource (bien commun) plus les interactions sociales (économiques, culturelles et politiques) au sein de la communauté prenant soin de cette ressource. On peut aussi définir les biens communs comme la recherche par une communauté d’un moyen de résoudre un problème en agissant au bénéfice de l’ensemble de ses membres. Tout cela, qui s'organise partout (des gens ont construit par exemple une de ces bibliothèques de rue gratuites à côté de chez moi, avenue de Clichy, Paris 17, un peu plus loin, une fois par semaine, devant la piscine, l'AMAP de mon quartier distribue fruits et légumes commandés par ses sociétaires etc) ressemble bien à un mouvement universel pour gérer nos moyens et besoins collectifs autrement, qui mérite d'être pensé et évalué à partir de bilans d'expériences comme celle-ci. Un nouveau site : Les Communs d’abord ! se propose d'être un des ces nécessaires outils de réflexion. Nous vous invitons à le découvrir. 

Christian Perrot

Depuis 2009, le mouvement des Little Free LIbraries se développe en Amérique du Nord. Il promeut l’installation de « boîtes à livres » devant les maisons dans les quartiers de manière à favoriser le partage et la circulation de livres. Une fondation s’est même créée aux Etats-Unis pour soutenir le développement de cette pratique destinée à renforcer les liens de voisinage.Mais un article du Digital Reader (The Tragedy of The Commons Has Now Come To Little Free Libraries) souligne que face à la multiplication de cas de vandalisme et de pillages de ces boîtes, le mouvement connaît un certain recul aujourd’hui. On rapporte notamment des abus, avec des personnes emportant le contenu de boîtes entières pour les revendre. L’article fait un parallèle entre ces problèmes et une possible « Tragédie des communs », en référence au célèbre article de Garrett Hardin, prétendant démontrer que la destruction des ressources partagées était à long terme inéluctable du fait de la propension des humains à se comporter comme des « passagers clandestins ».

Ce qui arrive aux Little Free Libraries constitue en effet en un sens une confirmation des vues de Garrett Hardin, sans pour autant discréditer la théorie des Communs, bien au contraire. Le contenu de ces boîtes constitue en effet une « ressource en libre accès », telles que celles décrites par Garrett Hardin. Les Little Free Libraries portent normalement une inscription « Take a Book. Return a book », à la fois pour inciter à limiter les prélèvements et à pratiquer une certaine forme de réciprocité. Mais faute de dispositif pour garantir l’application de ces règles de base, la ressource que constituent les livres des Little Free Libraries est en réalité extrêmement fragile aux comportements de passagers clandestins. Dès lors, il n’est pas étonnant qu’une Tragédie des Communs finisse par se produire.

Dans ses travaux sur la gestion en commun des ressources rivales – ce que sont les livres des Little Free Libraries-, Elinor Ostrom a montré qu’une préservation efficace de la ressource dans le temps nécessitait qu’une communauté d’utilisateurs s’organise autour d’elle et adopte des règles concernant les prélèvements. Par ailleurs, elle insiste sur le fait que la communauté doit se doter de la capacité de surveiller que les règles sont observées et d’un système de sanctions graduées pour punir les passagers clandestins, pouvant aller jusqu’à l’exclusion de la communauté.

Pour qu’un système comme les Little Free Libraries fonctionne dans le temps, il faudrait que ses utilisateurs partagent un ensemble de valeurs communes suffisamment claires et fortes pour qu’une auto-régulation des comportements se produise. C’est sans doute possible à l’échelle d’un quartier où les individus entretiennent des rapports de voisinage et développent des bibliothèques de rue pour les renforcer. Mais l’implantation de ces boîtes dans l’espace public les laisse accessible à un ensemble d’utilisateurs trop vaste pour constituer une « communauté » et sans possibilité de réintroduire un minimum d’excluabilité dans l’accès à la ressource.

Au final, il serait plus juste de dire que les Little Free Libraries ne constituent pas des Communs au sens propre du terme. Elles ne réunissent pas les trois critères fondamentaux que sont une ressource partagée, une communauté organisée d’utilisateurs et des règles définies d’accès et de gestion. Il s’agit simplement d’un système organisant la mise à disposition d’une ressource en libre accès, avec ce que cela peut comporter de fragilité et de vulnérabilité.

A lire également : « Bibliothèques de rue pillées : comment on arrête la casse ? (indice : à grands coups de Commun) », Par Neil Jomunsi. Où il est proposé pour remédier à ces difficultés d’adjoindre aux Little Free Libraries des Pirate Box pour organiser un partage de livres numériques, ressources non-rivales ne pouvant subir de phénomènes d’épuisement par sur-utilisation. Mais un tel dispositif ne pourrait être légal qu’à condition de limiter les fichiers partagés à des oeuvres du domaine public ou sous licence libre.


VOUS ÊTES TOUS INVITÉS À PENSER LES COMMUNS

Cette semaine, un nouveau site est lancé. Baptisé Les Communs d’abord ! , il a pour ambition de constituer « un média web indépendant ayant pour but de donner une visibilité aux multiples initiatives, publications et débats liés au mouvement des Communs. »

L’idée de cette initiative est née lors d’une réunion organisée par l’association Vecam, en juin 2016 lors de laquelle, constat a été fait que si les Communs sont de plus en plus présent dans l’actualité, il n’existait pas encore de média spécifiquement dédié à cette question.                                                                                                                                                    
Les initiatives autour des Communs foisonnent pourtant en France. De plus en plus d’acteurs, qu’il s’agisse de militants, de chercheurs ou d’institutions s’emparent de l’imaginaire des Communs pour se l’approprier et le faire vivre à travers des projets stimulants. Alors que la recherche d’alternatives semblent bloquées à de nombreux niveaux, une évolution avance sur le terrain, sous l’égide des Communs. La thématique des Communs s’invite de plus en plus fréquemment dans le débat public et politique et une structuration se met peu à peu en place sur les territoires, à travers les Assemblées et les Chambres des Communs

Il existe déjà en France un écosystème informationnel autour de la question des Communs : portail des Communs, wiki des communs, plateforme Remix The Commonsblog francophone de la P2P Foundation, liste de discussion du mouvement francophone autour des Communs, ainsi que nombreux espaces de veille partagée consacrés à ce sujet, tenus par des individus ou des associations. Un blog (Chronique des Communs) a même été ouvert sur la plateforme du journal Le Monde en décembre dernier et un projet de Radio des Communs sur les ondes hertziennes est actuellement examiné par le CSA.

Mais les Communs sont, par définition, extrêmement multiformes et les informations à leur sujet restent encore très éclatées, ce qui brouille leur visibilité. Les Communs d’abord ! a pour ambition de devenir un point de convergence vers lequel les lecteurs pourront se tourner pour trouver de l’information actualisée sur les Communs dans toutes leurs dimensions : Communs naturels, Communs matériels, Communs urbains, Communs de la Connaissance, etc.

Le site procédera par curation des contenus repérés par la veille, mais il a pour but, à terme, de produire des contenus originaux avec deux intentions.

  1. Donner à voir ce que l’on peut appeler les « Monsieur Jourdain des Communs », c’est-à-dire de nombreuses initiatives rattachables à la question des Communs, sans que les acteurs ne se revendiquent explicitement de cette mouvance.
  2. Éclairer l’actualité sous l’angle des Communs, en montrant que de nombreuses questions de société (sociale, éducatives,économiques, politiques) peuvent être abordées avec profit sous cette perspective. 
  3. Donner une visibilité à la recherche académique sur les communs

Les Communs d’abord ! est maintenu techniquement par le collectif PointCommuns et hébergé par la LSC-L1 (Legal Services for Commons qui offre des fonctions de support mutualisés pour les Communs. A l’origine, ce collectifPoints Communs, est un groupe de personnes, centrées à Lille, qui développent des outils mutualisés sur les Communs (portail des Communs » ou le « Wiki des Communs »). Plusieurs membres du collectif SavoirsCom1 ont participé à la conception du site et prendront part à son alimentation. Mais l’objectif des Communs d’abord ! est plus large que le champ des Communs de la connaissance qui est celui de SavoirsCom1 et l’initiative est ouverte à toutes les personnes intéressées.

Pour réussir à maintenir dans la durée un tel site, nous avons besoin de contributeurs qui voudront consacrer un peu de leur temps à la veille, à la curation et à la rédaction de contenus. Si vous souhaitez participer à cette nouvelle aventure, n’hésitez pas à écrire à l’adresse de contact pour que nous puissions en discuter.

Au-delà de son but d’information, les Communs d’abord ! souhaite contribuer à l’émergence d’un mouvement des Communs en France, en aidant à la prise de conscience que les initiatives sont aujourd’hui suffisamment nombreuses et diversifiées pour autoriser un passage à l’échelle qui permettra aux Communs de peser sur l’avenir.