Le parcours salvateur de Steve Reich chez ECM dans les années 70

Manfred Eicher, boss renommé de ECM a toujours eu du flair, qu'il s'agisse de jazz, de contemporain ou de classique. Ses labels et productions parlent pour lui ; son premier coup de génie avec les Köln Concert de Keith Jarrett ayant paumé aussi bien les amateurs de jazz que de classique, avec cette musique qui ne rentrait dans aucun cadre à l'époque. L'esthétique ECM était lancée et Steve Reich qui ouvrit, à l'occasion, le répertoire classique en fut le bénéficiaire, comme Jarrett avant lui.

Combien de temps a-t-il fallu pour qu'on entende parler de reconnaissance pour Charlemagne Palestine, Moondog ou La Monte Young ? Longtemps, Terry Riley fut considéré comme une attraction pop et si Steve Reich a reçu dernièrement le Pulitzer et composé avec le guitariste de Radiohead, Jonny Greenwood, il n'en a pas toujours été ainsi.

Au milieu des années 70, quand les minimalistes n'étaient pas encore en odeur de sainteté dans les cercles classiques, les contrats étaient souvent des one shot et Reich en fit les frais avec Deutsche Gramophon qui avait payé l'enregistrement en 1976 de Music for 18 Musicians, pour mieux la laisser pourrir à la cave. C'est là qu'intervint Eicher en faisant disparaître les bandes pour offrir ensuite un contrat à Reich et voir son premier envoi, dit classique, vendre à plus de 100 000 exemplaires. Bingo !

ECM réitéra avec d'autres œuvres plus anciennes et plus courtes pour les deux albums suivants, dont l'une avait déjà plus de dix ans. On y assiste à l'éveil du compositeur et à son envol, partant des pièces les plus anciennes pour terminer avec les plus récentes et novatrices, en assumant la singularité de Music for 18 Musicians, comme œuvre phare du moment. Certains critiques de musique classique de l'époque n'hésitant nullement à traiter la musique de Reich de "singulièrement robotique et zombie". Aucun dilemme, ce faisant, chez les amateurs de nouvelle musique d'alors qui avaient témoigné de leur enthousiasme et bien repéré que l'œuvre, reprenant les canons de la rythmique continue du minimalisme, allait influencer tous les sous-genres de la musique électronique naissante.  Dans ces œuvres on trouve aussi le penchant de Reich pour le phasing ( cf.Violin Phase) qui n'envahit pas la pièce et surtout la toute nouvelle marotte bien pratique du compositeur pour les continuités harmonique qui gardent l'orchestre en éveil le long de morceaux qui le sont tout autant avec des introductions d'accords qui seront joués plus tard, devenant des séquences qui vont, montent et disparaissent dans le silence.

Le troisième et dernier album du coffret est consacré à son Tehillim de 1982. Basé sur son étude des cérémonies hébraïques et des récitations précises qu'elles demandent, Reich en a tiré une certaine lecture des paumes, rendus à plat, sans effet. Elle signifie le départ du compositeur vers d'autres développement musicaux plus axés sur la mélodie que le rythme - omniprésent précédemment. Ici, en version musique de chambre avec une belle complexité rythmique attractive. C'est le dernier album pour ECM, puisqu'il partira avec Bob Hurwitz, celui qui en était responsable de la production de l'album, chez Nonesuch, pour lequel il enregistre toujours, à 80 printemps. On trouve les notes de pochette originelles écrites de la main de Steve Reich, un livret augmenté d'un essai et de nombreuses photos inédites. Parfait résumé des balbutiements d'une carrière jusqu'alors toute en départs arrêtés.

Jean-Pierre Simard

Steve Reich – The ECM Recordings (2016)