Algérie : censure du film "Vote Off", de Fayçal Hammoum, sur la dernière campagne électorale
Communiqué de presse des Rencontres Cinématographiques de Bejaia
Projection du film « VOTE OFF » annulée
L’association Project’heurts, organisatrice des Rencontres Cinématographiques de Bejaia a le regret d’annoncer que le film « Vote Off », réalisé par Fayçal Hammoum, et produit par Thala Films, programmé initialement le Jeudi 8 Septembre 2016 à 17h n’a pas reçu de visa culturel pour sa projection. Contrainte par la loi n° 11-03 du 17 février 2011 relative à la cinématographie, décret 13-276. L’association Project’heurts se voit dans l’obligation d’annuler la projection du film.
L’association Project’Heurts, particulièrement attachée aux valeurs de la démocratie et de la liberté d’expression et de création, a décidé d’ouvrir un débat sur la loi sur le cinéma, sur la liberté de création en Algérie, le Jeudi à 17h à l’heure de la projection du film « Vote off », en présence du réalisateur et du producteur du film.
Le Président
A.Hochiche
Communiqué du Ministère de la Culture
En réponse aux déclarations du réalisateur Mr Fayçal Hammoum sur la non programmation de son film « VOTE OFF » aux journées cinématographiques en cours à Béjaia, le Ministère de la Culture tient à apporter les précisions suivantes :
Le Ministre de la Culture n’est à aucun moment intervenu dans la programmation de ce film.
Cette décision relève des compétences et attributions exclusives de la commission de visionnage, seule habilitée à fournir des autorisations de tournage et de projection… cette commission composée d’experts et de professionnels du Cinéma, a délibéré favorablement sur 23 films à l’exception du film VOTE OFF qui comporte des contenus portant atteinte aux symboles de l’Etat et de sa Souveraineté.
La décision de la commission ne relève aucunement des considérants liés à l’art cinématographique mais procède de l’application de la loi.
Il est à noter que le Ministère de la Culture a encouragé et soutenu l’organisation des journées cinématographiques de Bejaia et considère cet événement un important acquis dans le domaine du cinéma et de la Culture en général.
Lettre du réalisateur de Vote Off, Fayçal Hammoum
Mesdames, Messieurs
Artistes, journalistes, spectateurs, curieux, citoyens amoureux de la culture et amis de tous bords, c’est avec une grande tristesse que je m’adresse à vous aujourd’hui.
En effet, il y a quelques jours, j’ai reçu un appel de Abdenour Hochiche, directeur des Rencontres Cinématographiques de Bejaia. Il m’annonce avec surprise que mon film documentaire « Vote Off », tourné il y a deux ans à Alger lors du dernier scrutin présidentiel, et produit par Thala Films, ne pourra pas être projeté ce jeudi 8 septembre dans le cadre de ces rencontres, comme cela était initialement prévu. La cause : le ministère de la Culture refuse de délivrer une autorisation de projection. Ce documentaire, traitant des élections présidentielles, étant le seul de toute la programmation à ne pas obtenir cette autorisation (dont la mise en place, rappelons-le, est toute récente), on ne peut que se rendre à l’évidence et appeler les choses par leur nom : Il s’agit la d’un cas flagrant de censure !
Étant jeune cinéaste comme d’autres sont médecins ou boulangers, et faisant comme eux, modestement, ce que je sais faire de mieux, ce bras de fer constant avec le ministère de mon pays et autres autorités « suprêmes » de la culture commence à me fatiguer. Et je suis, de la même façon, fatigué d’avance de devoir demander grâce pour un film condamné à mort par la censure.
Comme je suis, pour ma part, condamné à l’espoir, je vais vous parler d’un film, d’une liberté et d’une jeunesse. Ce film s’appelle « VOTE OFF». Il aurait tout aussi bien pu s’appeler «Il était une fois un mois d’avril 2014 » ou « A quoi rêvent wled houmti ». Il s’agit avant tout d’un film fait avec des Algériens, en Algérie, avec, certes, des moyens de productions modestes, mais une énergie monstrueuse.
C’est un voyage électoral ou plutôt une balade où se côtoient le doute, la peur, l’espoir. À la manière d’un facteur, je suis allé faire du porte-à-porte ; j’ai passé du temps avec des amis et en ai rencontré de nouveaux ; j’ai capté des moments intimes ; je voyais ces hommes et ces femmes sortir de chez eux pour aller travailler, rêver, se battre, et j’ai eu envie de les filmer, de les aimer, d’accompagner chacun de leurs moments de vies et de construire avec eux une histoire qui est devenue, à l’arrivée, un film, mais aussi une parcelle de notre mémoire collective. Cette mémoire que l’on léguera à nos enfants.
Au-delà des parcours individuels de mes personnages, qui sont au centre du projet, j’ai aussi fait ce film pour une raison simple et sans doute un peu naïve : Je veux croire que l’Algérie peut et doit devenir aussi démocratique que possible.
Interdire ce film, c’est interdire la croyance qui en est à l’origine. La croyance en un pays de droit où l’expression d’une idée n’est pas vécue comme une menace mais une chance.
Interdire ce film, c’est interdire par avance tous les films qui voudront affirmer cela. C’est, qu’on le veuille ou non, avouer que rien ne changera.
Les chemins de la liberté ne sont pas toujours simples et c’est pour ça qu’il ne faut jamais les perdre de vue. On peut toujours enterrer un film mais jamais la parole et encore moins la pensée des hommes.
MERCI À TOUS.
FAYÇAL HAMMOUM
Cinéaste & producteur