L'écrivain ne fait-il vraiment travailler personne? par Claro
Récemment, on a pu lire des propos édifiants de Laurence Parisot, présidente du MEDEF, propos visant à expliquer pourquoi elle ne signerait pas l'appel à limiter la rémunération des patrons du CAC 40. Selon elle, certaines catégories socio-professionnelles échapperaient honteusement à ce radar.
Et de citer entre autres exemples:
"un écrivain à succès qui empoche 1,8 million de droits d’auteur et qui ne fait travailler personne."
C'est assez amusant, cette façon de considérer le travail de l'écrivain. "Quelqu'un qui ne fait travailler personne." Certes, un écrivain n'a pas la flamboyance débonnaire d'un patron qui fait travailler plein de gens (ou, alternative, en licencie plein…), mais bon, de là à dire que sa place dans la chaîne du travail fait de lui un acteur économique de dimension zéro, c'est un peu poussé.
Je suis loin de toucher 1,8 million de droits d'auteur, mais j'aime à considérer les choses ainsi: je ne suis pas l'employé de l'éditeur, parce qu'en fait c'est presque l'inverse qui est vrai. Du fait que j'écris, mon travail mobilise nécessairement l'embauche de différentes catégories professionnelles afin de transformer ledit travail en livre imprimé, diffusé, vendu, emprunté, photocopié, joué, cité, adapté, etc. Paradoxalement, donc, je pourrais très bien, en poussant le bouchon, considérer que l'éditeur est mon employé.
On me rétorquera que mes livres, comme ceux de la majorité de mes confrères, se vendent peu, donc que nous ne comptons pas vraiment dans la balance. Mais comme nous n'avons pas forcé l'éditeur à nous publier, nous en déduisons naïvement qu'il a jugé nécessaire de nous publier. Ce qui fait que, du moins théoriquement, si nous n'écrivions plus, ledit éditeur se retrouverait au chômage. Ça ne se produit pas ainsi, bien sûr, puisqu'il y aura toujours des auteurs à publier. Mais il n'empêche: mon travail, aussi peu reconnu soit-il, justifie à sa dérisoire mesure l'embauche des nombreuses personnes qui contribuent à faire fonctionner la chaîne du livre. Que la nécessité de nos livres soit toute relative ne les exclue pas de leur poids économique. C'est même précisément parce que leur nécessité est toute relative qu'ils permettent que l'économie du livre soit autre chose qu'une entreprise de traitement objectif de produits.
Chère Laurence Parisot, quand on défend aussi bien que vous les intérêts du patronat, on devrait, je pense, hésiter un peu avant d'utiliser le verbe "empocher" quand on parle des écrivains. Il vous va si bien, alors ne le prêtez pas à n'importe qui.
[Je signale par ailleurs qu'une pétition circule en ce moment sur ce sujet, signé par de nombreux écrivains.]
CLARO
Claro est écrivain, traducteur et éditeur. Son dernier livre : "Comment rester immobile quand on est en feu" vient de sortir aux Editions de l'Ogre. Vous pouvez le retrouver sur son blog : Le Clavier cannibale.