Souvenir d'une comète et exposition à Paris : Francesca Woodman
« Les choses du réel ne me font pas peur, seulement celles qui sont au fond de moi. » Francesca Woodman.
Son inquiétante précocité, sa beauté fuyante, son impudeur et sa pudeur extrême à la fois, montrant son corps nu et le dérobant sans cesse, sa fin tragique surtout, ont tissé sa légende. Son œuvre ne ressemble à nulle autre et son art photographique rend la photographie irréelle. Elle demeure solitaire et douloureuse, étrange comme un astre noir lointain, toujours incandescent, elle qui fut presque inconnue de son vivant. Bienvenue dans le monde diffracté de Francesca Woodman.
En 2016, elle demeure une énigme quelque peu effrayante, par sa maturité anormale à son âge et sesbesoins d‘introspection et d’effacement. Chris Townsend, son meilleur biographe a dit d'elle « qu’elle était un être disséminé dans l’espace et dans le temps. »
Et son occupation frontale de l’espace et sa dilatation du temps, jusqu’au bougé des êtres qui en deviennent flous, caractérisent ses images. Celles-ci semblent intemporelles, hors temps, irréelles et en même temps désuètes, avec leurs mises en scène venues d’ailleurs. Tout cela, pour la captation subjective de son être au travers d'innombrables autoportraits sortis d’un imaginaire presque symboliste ; tour à tour dévoilés ou masqués, comme autant de cailloux blancs pour aller jusqu’à elle, et mieux s’y perdre.
Bien plus que de simples images, ses planches sont un parcours initiatique vers ses profondeurs. À tort ou à raison, le suicide de Woodman reste le prisme à travers lequel beaucoup de gens voient son travail, intime et introspectif. Elle reste une photographe précoce et géniale qui soulève un maximum de questions sur l’existence, l’être au monde, notre présence ici-bas.
Née en 1958 à Denver, Francesca Woodman explore son image dès l’âge de 13 ans, via des autoportraits où elle se met en scène dans un univers onirique. Elle grandit au sein d’une famille d’artistes dans le Colorado et passe régulièrement ses vacances en Toscane. L’Italie devient rapidement une source d’inspiration pour cette adolescente d’un profond romantisme. En 1977, dans le cadre de ses études de photographie, elle s’installe à Rome. Dans une usine abandonnée de la capitale elle réalise l’une de ses plus célèbres séries : On being an angel.
Suicidée à seulement 22 ans, Francesca Woodman laisse derrière elle 9 années frénétiques, qui ont définitivement marqué et influencent encore la photographie contemporaine. Son œuvre introspective est certes courte, mais dense : des centaines de clichés, majoritairement noir et blanc, la plupart pris avec son Yashica 6×6.
Jouant avec ses formats carrés et la coupe du cadrage, la toute jeune femme tend à disparaître par l’image et ne se montre qu’à peine : moitié dénudée, le visage souvent caché, partiellement recouverte par des pans déchirés de papier peint, des ombres, des éclats de lumière. Elle plonge le corps dans l’anonymat, le dépouille de son individualité, le dédouble, le fragmente.
Être vaporeux et objets désuets se fondent dans un décor délabré : appartement vide, murs écaillés et miroir comme échappatoire. Elle capture aussi quelques nus féminins, autre miroir de sa propre image. La photographe écrit des poèmes, tient son journal intime et publie le livre Some Disordered Interior Geometries, en janvier 1981.
Le même mois, cette vie tout en roman-photo prend fin prématurément : Francesca Woodman se défenestre de son loft new-yorkais. « Je préfère mourir jeune en laissant diverses réalisations, un certain travail, mon amitié avec vous, et quelques autres objets intacts, au lieu de l’effacement pêle-mêle de toutes ces choses délicates. »
L’art de Francesca Woodman fait écho à notre époque du tout médiatique, où le selfie est roi. Ludique et dérangeante, la prodige soulève bien des questions quant à l’humain et à l’existence. La rétrospective à la Fondation Henri Cartier-Bresson, déjà présentée à Stockholm et au FOAM à Amsterdam, réunit une centaine de tirages, vidéos et documents. Et c'est un des principaux marqueurs de la modernité, envisagée à la Artaud, comme une suicidée de la société, aux côtés de Sylvia Plath, entre autre. Point Blank !
Francesca Woodman jusqu’au 31 juillet 2016 à la Fondation Henri Cartier-Bresson
2, impasse Lebouis, 75014 Paris
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