88 touches, Bill Evans et la Forêt Noire … 

Enregistré lors d'une tournée européenne avec Eddie Gomez et Jack Dejohnette, en 1968, cet inédit de Bill Evans sort seulement maintenant, oublié qu'il était dans les armoires d'un studio allemand. Cinquante et des mèches, mais pas une ride dans le son.

Les fans de Miles Davis savent déjà que Kind of Blue a été envisagé autour du jeu de Bill Evans. Ce qu'on sait moins c'est qu'il est le compositeur de Blue in Green et qu'il a fallu attendre des années avant que Miles, du bout des lèvres, ne lui en donne le crédit.

Dans le même registre, Flamenco Sketches, toujours issu de l'album de jazz le plus vendu au monde, aussi bien chez les amateurs que chez les béotiens qu'ailleurs le jazz répugne est aussi une transcription du Some Other Time de Bill Evans, lui-même adapté du standard de Leonard Bernstein.  La preuve ici …

 

Mais le titre avait tellement marqué Evans qu'il n'eut de cesse de le jouer et rejouer avec ses diverses formations, comme en solo, au long de sa carrière, de la fin des années 50 à 1980 et de tenter de l'épuiser via divers accompagnateurs ou arrangements.

Et le bonheur des ces sessions superbement enregistrées, à l'inverse des inédits qui sortent depuis des années, enregistrés eux au fond la cour du club où il jouait, est notable, car il permet d'entendre la formation au jeu tout en dynamique de l'époque au fil des sessions de ces deux CD's avec même quelques prises alternatives. Gomez jouera et rejouera avec Bill Evans, mais Dejohnette, alors jeune batteur professionnel trouvera plus tard la gloire avec Miles, Keith Jarrett ou en solo. 

La forme de ce trio étant le mode habituel d'Evans, on peut y retrouver tout au long des prises sa spécificité et ses attentes : à savoir que le bassiste assure non seulement sa part rythmique, mais qu'il contribue tout autant harmoniquement que mélodiquement, en pouvant même s'offrir des passages solo ou des duos avec le piano. Le rôle de la batterie est ici plutôt sage, Dejohnette plus occupé à assurer un son sans flottement aux balais et aux cymbales.

Mais surtout, c'est le travail d'Evans qui en impose avec sa croyance - vient-elle seulement de chez Miles ou bien ? que le meilleur partenaire du musicien est le silence. Un silence déployé avec un tel art au fil des plages qu'il met à mal l'adage de pianiste facile, et piano cocktail qui lui colle un peu aux basques… quand c'est la subtilité qui s'exprime.

Il faut entrer doucement dans le jeu d'Evans pour en saisir toutes les nuances et se laisser porter par ces 22 titres qui offrent une facette méconnue, prise sur le vif, dans un studio de la Forêt Noire entre deux concerts, en 1968. Pour les néophytes, cet album à peine sorti est déjà considéré comme un des sommetsde la production jazz de 2016. On le disait, cinquante et des mèches, et pas un cheveu blanc.