Pas touche au mythe Simon Bolivar, le Libérateur ! Un roman colombien à mourir
Dans la Colombie des années soixante, ce riant paradis des mensonges étatiques, il ne fait pas bon vouloir se démarquer des fictions fondatrices de la république. Et le docteur Justo Pastor Proseco, un notable marié, père de deux enfants, gynécologue de son état, va vite comprendre que sa passion de l'Histoire de la révolution et ses trouvailles sur El Liberator ne font pas bon ménage avec l'ordre qui règne dans sa petite cité de Pasto. Ce roman d'Evelio Roseroa a reçu le prix du meilleur ouvrage colombien de 2014. Signe des temps ?
Désirant ouvrir les yeux de ses concitoyens le jour du carnaval des Noirs et des Blancs, il a non seulement acheté un costume de gorille, mais aussi fait construire un char qui, d'après lui, va mettre à mal le mythes fondateur de l'Etat, en révélant les mensonges et turpitudes du héros national. Le Simon Bolivar qui s'est attribué des victoires sur des champs de bataille où il n'a jamais mis les pieds, a trahi ses amis, menti sans pudeur, enlevé et violé des petites filles à peine nubiles. Pareille offense au héros national ne passe pas inaperçue : on crie au scandale, les notables se liguent contre lui, on attaque l'atelier à l'arme à feu. Pour couronner le tout, en pleine folie carnavalesque, il découvre que sa femme le trompe (avec un général et quelques autres), que ses filles le méprisent et que ses amis se servent de lui. On quitte le vaudeville pour la farce, mais le drame n'est jamais loin.
Et, cet hiver 1966 lui sera fatal car, tablant sur la volonté de lumière de ses concitoyens, il aura tenté par l'absurde, comme dans les fêtes du Moyen-âge européen, de mettre les fous au pouvoir dans la rue pendant le défilé, de révéler que les mensonges sont partout et qu'il s'agirait peut-être, à fin de remettre la vérité en place, d'ouvrir les yeux sur les légendes urbaines et du pouvoir. La farce atteindra son apex, quand révélation lui sera faite que même son statut en est une, de farce, que même ses enfants élevés dans la droiture le haïssent, et que sa femme le trompe le plus souvent possible avec ceux qui entretiennent le mythe, en leur faveur bien sûr.
Entre des figurations qui rappellent le merveilleux Général Alcazar de Tintin ou les habituels fantoches du Garcia Marquez de l'Automne du Patriarche, un autre et nouveau Colombien d'excellence tricote à son tour de la fiction drôlatique. On vous parle de carnaval et les morts ne sont plus seulement brûlés en effigie de carnaval au milieu des pétards parmi les chars. On dézingue allègrement du contre-héros, de l'hérétique.
Le roman retombe sur ses pieds, le carnaval s'apaise, l'ordre est rétabli, le héros mort. Tout va bien. Nous sommes bien en Amérique Centrale, et paraît-il, cela se serait passé en 1966. Non mais des fois … Pour faire bonne mesure, ce roman a reçu le prix du meilleur ouvrage colombien de 2014. On ne sait jamais.
Le Carnaval des innocents d'Evelio Rosero
Editions Métaillé