L'effet ouragan ou comment les multinationales s'inscrivent sur le sol mexicain
En osmose avec les cinéastes japonais des 60's pour lesquels l'histoire s'inscrivait directement dans le paysage, Edgardo Aragon filme son Mexique en en dévoilant les enjeux.
Mésoamérique : l’effet ouragan, dernière œuvre en date d'Edgardo Aragon propose une cartographie critique des strates de pouvoir qui façonnent le Mexique contemporain et ses relations avec les États-Unis. La Mésoamérique est la région d’Amérique centrale qui a vu prospérer les civilisations maya, aztèque et zapotèque il y a plusieurs siècles avant qu’elles ne soient supplantées aux XVe et XVIe siècles par les Espagnols, venus coloniser de vastes zones de ce continent en utilisant la tradition judéo-chrétienne comme outil de soumission des populations locales. Aujourd’hui, Mésoamérique est aussi le surnom d’un projet d’aménagement et d’intégration de plusieurs millions de dollars financé par les États-Unis qui a pour but d’aider la région à se développer par le biais d’investissements dans les réseaux d’infrastructure, d’énergie, de télécommunications et de transport. Mais, à cause d’une corruption endémique à tous les niveaux, cette initiative ne bénéficie pas aux populations pauvres et favorise au contraire des sociétés détentrices d’investissements étrangers présentes dans la région.
Dans cette vidéo, Aragón oriente son objectif sur la localité de Cachimbo située à la frontière des États d’Oaxaca et du Chiapas. Très exposée aux ouragans, celle-ci est obligée de reconstruire son infrastructure chaque année après la saison des ouragans. Et, alors qu'elle est à seulement huit kilomètres d’un parc éolien du Projet Mésoamérique, elle n’est pas alimentée en électricité, si ce n’est par un fragile réseau à énergie solaire offert par une ONG indienne. Dans la vidéo, on voit un personnage porter une batterie depuis le centre de l’État d’Oaxaca jusqu’à Cachimbo ; par ce geste poétique, il tente de corriger les injustices du système du Projet Mésoamérique en apportant l’énergie à ceux vers qui elle aurait dû aller en premier lieu. En chemin, le personnage longe des éoliennes, des barrages hydrauliques et d’autres équipements marquant la présence du Projet Mésoamérique, tandis que des autochtones parlent de leur rapport personnel avec ce projet. En plus de cette batterie, le personnage porte un exemplaire du livre d’Andrés Henestrosa, Los hombres que disperso la danza [Les hommes que la danse dispersa]. Écrivain prolifique et homme politique natif de la région de Cachimbo, Henestrosa a joué un rôle essentiel dans la préservation de la culture zapotèque en contribuant à l’apprentissage de sa langue et en transcrivant ses légendes orales. Publié en 1929, Los hombres que disperso la danza compte parmi les recueils de légendes majeurs de cet auteur. Arrivé à Cachimbo, à la fin de la vidéo, un habitant du village lit un passage d’une légende zapotèque tirée de ce livre. Dans ce texte mythique, de puissantes forces naturelles s’entredéchirent tandis qu’au milieu d’elles se tient un homme démuni. Mais après la catastrophe vient le temps du renouveau, celui où le sol se couvre à nouveau de cultures et où l’environnement se reconstruit.
Mesoamerica comporte aussi une série de cartes coloriées à la main. Celles-ci montrant les géographies de la collaboration entre le Mexique et les États-Unis et illustrent le rôle respectif des partis politiques, des cartels de la drogue et des compagnies étrangères dans les retombées négatives du Projet Mésoamérique en les présentant sous les traits d’un animal mythique.
Edgardo Aragón témoigne par son travail de photographe, vidéaste et dessinateur de l'histoire de la violence dans son Mexique natal. Étroitement liées aux histoires politique et sociales de la province d'Oaxaca, où il est né et vit toujours, et ses précédentes œuvres montrent des performances et des interventions sculpturales sur fond de paysages à la fois sereins et troubles. Pour Efectos de Familia (Effets de famille), il a traité de ces violences qui brouillent les frontières du public et du privé, afin de mettre en lumière la profondeur et l'omniprésence de cette réalité troublante. Pour Tinieblas (Noirceur) où des membres d'un groupe local jouant une marche funèbre, debout sur des bornes de frontière, chaque musicien a été filmé seul, mais lorsque les vidéos sont jouées simultanément, la musique collective est sinistrement asynchrone. Les bornes de frontière font référence à l'histoire des disputes territoriales dans la ville natale d'Aragón, où il y eut, ces dernières années, une escalade de la violence. Les images traduisent une sensibilité lugubre, soulignée par le caractère de la musique et la grandeur du paysage qui contraste avec la petitesse de l'activité humaine.
Edgardo Aragon - Mésoamérique : l'Effet ouragan
du 9/02/16 au 22/05/16
Musée du Jeu de Paume 1 Place de la Concorde, 75008 Paris