L’enfance rouge, par Candice Nguyen

Lotfi Bouchnak & L’Enfance Rouge – N’habbik. Rehearsals/Recordings in Tunis, Tunisia.

De l’autre côté de la mer, à l’orée de l’après-midi, des hommes traversent les murs d’un palais. Au fond d’une cour battue par le soleil, du linge suspendu aux fenêtres sert d’abri aux chats, las, qui dorment à l’ombre de tous nos désirs. Une femme, marquée par la fatigue des jours lents, s’affaire autour de vêtements à repriser. Son enfant, dans un geste mécanique, fait rebondir un ballon de cuir contre la porte. Tape tape. Des retrouvailles se préparent.

Qui frappe à cette heure ?
La main de la mort ? Le cri de la naissance ?

Bruits de pas, murmures, une agitation de plus en plus grandissante se fait sentir depuis les contre-allées du palais. Et puis plus rien, le silence — l’attente.

Moi la femme ignorante
Je poursuis ce que je ne veux pas, désire ce que je poursuis, jusqu’à ce que malheur m’assomme

Chemins de traverse, ce sont des paysages aux mille teintes qui sont enfermés encore dans quelques visages et s’apprêtent à délivrer leurs aspirations. Foi en la vie, espoir de réconciliation, message de paix — le combat pour la vie. Au-delà de toute notion de tolérance : l’amour de l’autre, son frère, par-delà les langues, par-delà les frontières — ruisseaux, rivières, montagnes, porte porte Atlas le poids de ce monde, relâche relâche ce qui gît entre tes mains, brise brise tous ces murs qui s’élèvent.

Je suis la femme rescapée
Ils n’ont pris de moi que ce qu’un vent prend à une forêt, dissimulée, je marche sur l’eau, déploie mes ailes

Des vies multiples, venues de régions lointaines et aux accents fort différents, joignent leurs cordes et s’entremêlent. On est à Tunis, Tanger, Marseille. Le battement des cœurs. Il faut du temps pour reconnaître que ces hommes, dont on distingue à peine la nervosité des mains, ne parlent pas la même langue mais le même langage. Tremble, tremble la voûte du palais, quelque chose se prépare, des voix s’élèvent.

Candice NGUYEN


Citations extraites de Rifaat SALLAM, Pierre flotte sur l’eau, Editions du cipM / Spectres familiers, 2009


Notre chroniqueuse de l'ailleurs Candice Nguyen a quitté Paris sur un coup de tête pour Marseille où elle vit et travaille depuis 2008 dans l’éditorial et la communication digitale. Partage son temps entre la mer, les routes et l’aide à la diffusion d’artistes, à travers notamment la revue de photographie et d’arts PLATEFORM Magazine et son journal en ligne. Elle est en charge des chroniques pour L'Autre Quotidien.