La terreur et ses frasques dans le Néonomicon

Quand Lovecraft se fait adapter par Alan Moore, cela donne des résultats détonants, mais l'histoire de cette adaptation est encore plus intrigante, lisez plutôt. 
 

Cet album sorti chez Urban Comics contient en réalité deux histoires de valeurs inégales. Pour faire court, la première est géniale, la seconde juste sympathique. Maintenant on va faire long... L'anecdote est connue. Grand fan de l'auteur de Providence, Moore eut comme projet d'écrire tout un cycle de nouvelles réinterprétant le Mythe de Cthulhu. Hélas, mille fois hélas, des forces cosmiques se déchaînèrent pour empêcher la réalisation d'un projet aussi gargantuesque : Moore perdit l'unique manuscrit sur la banquette arrière d'un taxi. Une seule nouvelle put être sauvée. Elle fut adaptée en comics des années plus tard, et c'est le résultat admirable que vous pouvez... admirer dans les premières pages de cet album : Côté cour.

Oubliez toute idée de pastiche. Moore fait du Lovecraft sans en faire. Bien loin des clichés à tentacules, l'histoire qui nous est proposée est habitée par certaines obsessions partagées par les deux auteurs (les différents niveaux de réalité, le pouvoir des mots, la folie...) mais d'une manière qui n'appartient qu'à Moore seul. On peut donc bel et bien parler de réinterprétation. Si tout commence à la manière d'une enquête banale, soutenue par une très belle voix-off de film noir, on parvient rapidement à l'exposition d'une idée aussi fascinante qu'intelligente. On ne peut qu'être dégoûté en repensant à tout ce qu'on a perdu à l'arrière de ce stupide taxi... Le dessin n'est pas extraordinaire et même parfois un peu hésitant, mais la mise en scène de l'ensemble est juste parfaite et sert avec maestria les idées du scénario. C'est d'autant plus méritoire que l'adaptation en BD s'est faite sans la participation de Moore...

Après ce mindfuck total, on redescend sur terre avec la suite toute récente (2010) de cet ingénieux prologue : Neonomicon. Cette fois, l'histoire a été pensée pour être directement adaptée en BD. Exit la superbe voix-off et bonjour à des dialogues crédibles mais beaucoup moins recherchés. Pour être franc, c'est l'ensemble qui se trouve être moins inspiré, et ce n'est pas l'arrivée de déviances sexuelles, à la fin, qui pourra réveiller votre intérêt (sauf peut-être si vous avez eu des fantasmes bizarres en lisant Lovecraft. Je ne vous juge pas. Ou alors juste un peu).

Alors que Côté cour évitait avec brio la référence lourdingue, Neonomicon plonge la tête la première dans le fan service. On cite allégrement Lovecraft, on l'analyse et on lui donne même un rôle indirect dans l'intrigue. Le tout reste sympathique mais largement dispensable, il faut bien l'avouer, sauf peut-être justement pour le fan des deux auteurs (comme moi, vous l'aurez compris) qui sourira à quelques reprises... Seules les toutes dernières pages relèvent véritablement le niveau, mais je vous laisse évidemment la surprise. 8 pour la première histoire, 6 pour la seconde... La moyenne me semble juste et je vous encourage à jeter un œil, si vous le pouvez.

Amrit - (Sens Critique)

Neonomicon de Alan Moore et Jacen Burrows, traductions d'Alex Nikolavitch
Editions Urban Comics