Marre, par Emmanuel Delabranche

© Emmanuel Delabranche

© Emmanuel Delabranche

marre de croiser la misère les hommes à terre les femmes assises des enfants dans les bras
marre de voir la folie dans les yeux d’un homme tenant d’une main un vélo enseveli sous des sacs plastique contenant tout ce qui reste de sa vie l’autre dans sa poche
marre de dépasser des corps endormis sur les grilles chaudes des aérations des transports souterrains bondés d’une foule mains pleines de sacs et paquets c’est noël il faut fêter
marre de croiser la mort plus que de nourrissons
marre de ceux qui bousculent poussent qui ne vous voient pas ou vous ignorent
marre de ceux qui feu rouge passent et manquent de vous renverser
marre des voitures grosses comme le vide des vies à crédit qui remontent les files interdites pour gagner quoi
marre des déchets épars des poubelles vertes au milieu des trottoirs des publicités lumineuses et placardées des guirlandes tendues des lueurs leurres
marre des boutiques fermées des franchises mondialisées des appartements devenus bureaux sur des étages entiers alors qu’on vit sous des tentes au milieu des autoroutes le long du canal sous des ponts dans des poubelles
marre des villes qui se vident des villes que l’on vide
marre de l’artisanat ancestral érigé comme valeur traditionnelle pour touristes et badauds
marre des cathédrales des musées des catalogues d’expositions comme autant de supermarchés
marre
marre de voir en tous points de la ville des soldats des policiers des agents de sécurité et dans les gares et dans les trains seuls métiers d’avenir s’il y en a
marre des guerres de religion et de pouvoir des prises de parole en notre nom des tueries des interventions
marre de voir qu’on n’a rien proposé d’autre que la banlieue barres et tours à ceux que du doigt on montre
marre que mon médecin ne soit pas musulman ni mon avocat ni mon associé 
marre de toutes ces valeurs qu’on affiche comme différences alors quelles sont richesses
marre que la déesse n’ait jamais été remplacée
marre des parcs pour enfants aux jeux absurdes des cinémas pour adultes des pistes cyclables des couloirs de bus des places réservées des tarifs préférentiels
marre des villes sales des villes riches et de celles délaissées
marre des plans d’urbanisme où chacun fait œuvre et c’est bien la seule chose de réussie
marre de l’individualisme
marre des télévisions aux émissions qui abrutissent alors que seul le savoir peut rendre libre
marre qu’on abrutisse pour plumer et régner mais qui mais quoi à qui vraiment cela profite
marre du manque de liberté

Emmanuel DELABRANCHE
"Dès que l’autorité se prétend légitime, elle demande à être déconstruite", Gilles Deleuze, « L’Abécédaire ».


Emmanuel Delabranche est architecte. Il construit, enseigne, écrit et photographie. Vous pouvez le retrouver sur son site et sur Twitter @edelabranche.