Le tempo beat du quatrième mousquetaire Gregory Corso

À trente ans d’intervalle, deux flamboyances acérées de Gregory Corso, comme une anticipation des flows du rap.

Traduits de l’américain par Laure Nguyen-Huynh, publiés aux éditions Derrière la salle de bains en 2011 et encore disponibles, peut-être, au sein du coffret « the beat generation » de l’éditeur, ces deux poèmes de Gregory Corso (dont il faut absolument découvrir aussi, à plus grande échelle, le travail proposé dans « Le joyeux anniversaire de la mort » par Blandine Longre chez Black Herald Press), parus respectivement en 1960 dans le recueil « The Happy Birthday of Death » pour « I Held a Shelley Manuscript » et en 1989 dans le recueil « Mind Field » pour « Rembrandt – Self Portrait », permettent de se faire une vive idée du phrasé bien particulier du « quatrième mousquetaire » de la poésie beat, comme il fut parfois appelé.

Si certains commentateurs et critiques ont pu à bon droit, à propos de textes plus longs de Gregory Corso, évoquer comme une anticipation des flows du rap, dont le tumulte rythmique entretient en effet une parenté indéniable avec ces facettes-là de la beat generation, des textes courts tels que « J’ai tenu un manuscrit de Shelley » ou « Rembrandt autoportrait » permettent sans doute surtout d’approcher l’étrange maniement des adjectifs et des adverbes par le poète, comme sa manière plutôt unique de pratiquer les ruptures de rythme, jazzet breakbeat en diable, d’une part, et les sauts de registre (l’argot new-yorkais de la prison et de la rue n’avait guère de secrets pour ce précoce « repris de justice », emprisonné à la Clinton State Prison de ses 16 à ses 19 ans), d’autre part.

Gregory Corso

Mes mains se sont engourdies face à la beauté
alors qu’elles atteignaient la Mort et se contractèrent !
Ô souverain était mon toucher
sur cette fragile page d’encres brunies !
Vite, mes yeux se déplaçaient vite,
à la recherche d’odeurs de poussière de dentelles
de cheveux secs !
J’aurais pris la page
inhalant le crime !
(« J’ai tenu un manuscrit de Shelley », 1960)

Comment peindre le chagrin des hommes – un groupe de chanteurs pleurant la mort d’un ami ? Qui se tient si détaché de la vie et
étudie s’il y a de la tristesse dans l’homme ? Apportez-moi le plus triste des hommes ! Chaque coup de pinceau pour casser tous les
systèmes
la circonférence nourrissante le vide spectrique – dévoreur !
(« Rembrandt autoportrait », 1989)

Gregory Corso - J’ai tenu un manuscrit de Shelley  et  Rembrandt autoportrait  aux éditions Derrière la salle de bains

Charybde2