Le Paris de cire des Exagérés de Jean-François Vilar
Dans le monde du nouveau noir, voir du Néo-Polar des années 80, Jean-François Vilar était un cas à part. Et les Exagérés, son roman situé en 1986, qui traite de l'assassinat de la Princesse de Lamballe pendant la terreur, revu au vol de sa tête au Musée Grévin, cette année-là, un cours magistral du Paris romanesque et historique.
En quelques mots, l'intrigue : Victor Blainville photographe au Musée Grévin s'aperçoit que la tête de la Princesse de Lamballe a disparu. Alors même que commence le tournage d'un film sur ses derniers jours pendant la Terreur. Et le héros de se retrouver au milieu d'intrigues amoureuses mortelles entre son ami propriétaire de journal( Le Soir/Libé) portrait mitigé entre July et Bizot, d'un ancien militant ; la comédienne Anna Fried qui avait tenu le rôle de la Princesse dans la première mouture du film - qui fut son dernier. Son fils Stan, étonnant portait d'un Alain Pacadis plus vrai que nature. Mais aussi son double, le flic Villon qui repend du service. Tout comme l'actrice principale du film à venir Julie ( Juliette Binoche ?) et son double amoché, sa sœur Mona. Et enfin, le réalisateur Adrien. Un ex-ami de Blainville des années militantes, portrait en puzzle d'un génie en décomposition (Godard, Garrel, Eustache ?) Blainville ira jusqu'à endosser, pour les besoins du film le costard de Hébert, le fameux Père Duchesne
Et enfin, on retrouvera Radek et Bastille, les deux chats du héros, sans lesquels un polar de Vilar ne serait complet. A la manière d'un Chandler arborant son griffu noir sur les photos connues de lui … Vilar oscille sans cesse entre poésie, art, histoire, humour décalé et intrigue policière, avec encore plus de maestria sur l'histoire de la ville que Léo Malet, lui-même.
Comme toujours, l'auteur a fait les choses en grand (cf. le titre - pas pour rien). Le Paris de la Révolution est scientifiquement exploré pour les besoins du film et retracé, pas à pas au gré des errances d'un Blainville accompagné ou pas. Aux dires d'Anna Fried, le film n'existera jamais. Ce qui n'empêchera nullement tous les protagonistes d'y tenir un rôle et d'y jouer leur partie. A en mourir. Souvent.
Et le second exercice de bravoure du livre, c'est l'histoire du modelage de cire, qui démarre juste avant la Révolution et se poursuit à Londres chez Madame Tussaud avant de revenir dans au 10 Bd Montmartre pour mieux y ancrer l'aujourd'hui de 1986. Et que nous dit cet aujourd'hui-là ? Que Carlos vient de faire exploser la FNAC Rennes, que des attentats sont commis en plein Paris avec une police incertaine, que la ville n'a encore rien compris au Sida, que la gauche caviar fait semblant d'être de gauche, mais sans plus convaincre personne, Mitterrand est là depuis 5 ans … Mais comme chez les Situationnistes, il reste un Paris vivant, la ville est pleine de traces d'une existence passée, mais encore lisible sur les bâtiments. Elle recèle des lieux de mémoire qui y ont fait l'Histoire. Elle est magnifique cette ville à superposer des présences, à multiplier les signes de piste, comme autant de signes de vie.
Et l'écriture des Exagérés est implacable à situer l'action en 1986, quand le livre va sortir en 1989, au Bicentenaire ( bien fade - sauf le défilé de Goude). A vouloir filmer la Révolution en faisant que celle-ci jamais n'advienne vraiment - sauf par la Terreur et les comités de salut public - Vilar a fait très très fort. Il y marque ses distances avec son passé. Il en sort désabusé. Mais pas plus qu'avant, son héros ayant lâché l'Histoire pour la contempler comme photographe.
Et Blainville, son héros, est comme l'Homme sans qualité de Musil, à tout voir, tout sentir, être au diapason de son époque, à force d'acuité. Conscient des enjeux, toujours prompt à décoder le présent par la culture et l'histoire pour lui ouvrir d'autres portes, de nouveaux possibles. Mais il est seul. C'est terrible - mais ne s'en porte pas plus mal. Avec le néo-polar, le détective est souvent un journaliste… Alors 1986/2016, un parallèle s'impose. La gauche devait changer la société (pas le monde, c'était le PS) et elle n'a été capable que de finasser avec des discours bourrins et des nostalgiques d'avant 1936. Mais cette culture de gauche existe qui parle clair de déceptions historiques (hystériques?). Sauf qu'aujourd'hui, sa transmission même, pose problème. Grand livre !
Jean-Pierre Simard
Jean-François Vilar - Les Exagérés - Poins Seuil