Redéfinir l'espace des villes avec les mangroves urbaines (et David Mangin)

Comment concevoir une ville où la circulation des êtres ne soit pas uniquement régie par l'ordre marchand, tel est le projet à long terme de David Mangin. Son dernier livre, Mangroves Urbaines propose quelques pistes pour Paris, mais pas que…

La machine urbaine de Châtelet-Les Halles

Ce dialogue incessant entre la gare et la ville, le transport et les services, David Mangin architecte, urbaniste de l'Agence Seura, en est un témoin privilégié. Il y a dix ans, il remportait le concours des Halles. Or, dit-il, les Halles, c'est une machine infernale, cinq niveaux, un échangeur routier, des grands équipements, trois lignes de RER… Résultat, « une vraie catastrophe qu'il faut réparer ». Les premières réalisations vont émerger dans les mois qui viennent.

Un des aspects du réaménagement suppose des arbitrages entre commerçants et transporteurs. Le transporteur, résume l'architecte/urbaniste, veut que le voyageur arrive le plus vite sur les quais et le commerçant veut qu'il y soit le moins vite possible… Dans l'arbitrage il ne faut pas oublier l'essentiel : il s'agit au bout du compte de trouver le meilleur espace public.

Ce long travail à propos des Halles l'a amené à s'intéresser au souterrain. Un espace qui ne retient pas trop d'habitude l'attention des architectes, attentifs à la surface et au volume. Et pourtant, le souterrain, « pour des millions et des millions de gens, c'est l'espace public principal ». Or, quand on y regarde de près, pas si simple de comprendre les gares, ni comment, par des espaces le plus souvent souterrains, la gare noue des relations avec la ville. L'équipe de Mangin a étudié ce qu'il appelle des « mangroves urbaines ». Comment se nouent des liens physiques entre ville et gare, comment « les choses prennent racine et se redéveloppent à partir de leur racine ». Ces relations, si elles sont bien comprises peuvent apporter beaucoup de valeur…

La machine urbaine St Lazare-Haussmann


On peut ainsi voir comment fonctionnent ensemble Saint-Lazare et les Grands magasins, ou bien les gares du Nord et de l'Est ou, encore, tout le complexe Châtelet, Forum des Halles, rue de Rivoli, Carrousel et Louvre… Autant de cas qui témoignent de la capacité très forte qu'ont les grands lieux de transport de créer de la vie urbaine.

De ces analyses sur les systèmes existants résulte un étonnement, qui porte sur la conception des gares nouvelles du Grand Paris. 80 % des gares du Grand Paris seront en correspondance avec des gares ou stations existantes (dont 28 de la SNCF). David Mangin ne comprend pas pourquoi il a été demandé dans la conception de ces gares de ne pas créer de couloir… alors qu'ils naîtront de toute façon, comme en témoignent ces analyses de mangroves. « On trouve que ce n'est pas joli, s'étonne l'architecte. Pourtant, bien conçus, avec un itinéraire confortable, ces couloirs peuvent être des lieux agréables. »

Second étonnement, conforté aussi par l'analyse des systèmes urbains : l'étrange obstination à observer l'effet d'une nouvelle gare dans un rayon de 400 ou de 800 mètres alors que la réalité des parcours, au cas par cas, peut montrer des dissymétries : l'attractivité forte d'une gare, parfois à 1 ou 2 km, si le parcours a bien été conçu pour les piétons ou les vélos… ou faible à 200 mètres, quand il faut franchir une route ou un faisceau de voie ferrée et contourner un bâtiment pour en trouver enfin la façade…

Troisième sujet d'étonnement. Les gares du Grand Paris n'ont pas été d'emblée pensées comme « toit commun » pour l'ensemble des systèmes de transport. Question qu'on voit se poser aujourd'hui de façon de plus en plus insistante en se disant, un peu tard peut-être, qu'il ne faudra pas manquer le rendez-vous avec les bus. C'est pourtant un véritable enjeu que, « lors des déplacements en transports en commun, on retrouve les avantages de la voiture, avec laquelle on peut faire plusieurs choses sur le parcours. Il faut faciliter les correspondances avec les bus ou les taxis et tout proposer sous un même toit. Si on ne rend pas confortable l’accès d’un mode de transport à un autre, on n’aura pas l’attractivité souhaitée ».

Plan-guide des Ardoines

En travaillant sur les interfaces entre souterrain et aérien, David Mangin et Marion Girodo proposent ici une vision d'une architecture contemporaine qui se développe dans la plupart des grandes métropoles, à la manière d'un écosystème végétal. Appuyant leur analyse sur les exemples de Montréal et Singapour, les auteurs ont analysé une vingtaine de sites de Paris et du Grand Paris pour en tirer des règles concernant le fonctionnement de ces mangroves urbaines, leurs programmes, leurs modes d'apparition et de gestion.

Friedrich Angel (avec SNCF)

Mangroves Urbaines, du métro à la ville (Paris, Montréal, Singapour) de David Mangin et Marion Girodo, avec Seura Architectes. Editions de La Découverte, Carré Collection