Abou Lagraa danse Le Cantique des cantiques

L’amour est fort comme la mort, la passion est implacable comme l’abîme. Ses flammes sont des flammes brûlantes, c’est un feu divin!
— Le Cantique des cantiques

Abou Lagraa a l’art et la manière de labourer les champs d’à côté pour les fertiliser à sa manière. Il s’est arrêté sur Le Cantique des cantiques, cette suite de poèmes et de chants d’amour, due à un compilateur du IVe siècle avant J.-C., ode à la chair scandaleuse, toute de métaphores sensuelles, dans un jardin de fruits exquis et breuvages enivrants.

Pour sa première expérience à partir d'un texte préexistant, le chorégraphe déploie une succession de duos qui démultiplient le rapport amoureux comme un kaléidoscope en fractionnerait les vertiges, les peurs et les jouissances. Le mouvement va à l’essentiel, au plus ténu de l’intimité du couple, se brise sur le ralenti d’un trouble soudain et joue, avec la voix des comédiennes, une partition rare. En collaboration avec le metteur en scène Mikaël Serre, Abou Lagraa en fait la trame d’une pièce engagée qui questionne, avec les mots et les corps, des thèmes brûlants d’actualité.

« Je suis d’obédience musulmane et il me semblait intéressant de travailler sur ce texte qui vient de la Bible et de la Torah. » En abordant le célèbre Cantique des cantiques, Abou Lagraa a voulu d’emblée ouvrir son regard. La place de la femme, la violence, l’intolérance, déjà abordées dans ses précédentes pièces, sont revisitées dans une tension à la fois intime et universelle. Il y est question du désir sous toutes ses formes, et jusqu’à la violence la plus extrême, mais aussi des frustrations engendrées par une société et une religion qui « censure le plaisir ». La fusion heureuse, la séparation, la possession brutale et, au-delà, la peur du corps de la femme, le déni de l’homosexualité et la négation des droits humains : sans rien céder de sa gestuelle expressive et stylisée, Abou Lagraa a choisi de tout dire et de tout montrer.

Il est toujours bon de montrer aux culs bénis, en soutane ou djellaba que le divin sans corps ne mène qu'au corps à corps guerrier, par manque de désir. 

Un jardin clos est ma soeur-épouse, une onde close, une source scellée. Ton exubérance forme un paradis de grenadiers, avec des fruits sublimes, des cyprès avec des nards. Le nard, le crocus, la cannelle et le cinnamome les arbres à encens ; la myrrhe et l'aloès avec tous les aromates les plus fins. Source des jardins, puits d'eaux vives et ruisselantes du Liban. Éveille-toi vent du nord, et entre vent du sud ! Souffle sur mon jardin, que ruissellent ses aromates ! Mon bien-aimé viendra dans son jardin et en mangera les fruits sublimes.

Friedrich Angel

Le Cantique des cantiques d'Abu Lagraa -> 3/12/16
Salle Jean Vilar- Théâtre de Chaillot, place du Trocadéro, 75016 Paris