La fable satirique et luxuriante du dernier homme qui savait la langue des serpents.
«- Et tu lis quoi en ce moment ?
– Un roman très original, excessivement drôle, qui se dévore, «L’homme qui savait la langue des serpents»
– Marrant, ce titre. Qu’est-ce que c’est ?
– C’est l’histoire du dernier homme qui vit dans la forêt et qui parle la langue des serpents, qui lui permet de communiquer avec les animaux sauvages, pendant que tous les hommes quittent la forêt, s’installent dans un village et se convertissent au Christianisme. C’est un roman estonien, d’Andrus Kivirähk.»
Parfois, le silence serait préférable, si vous n’êtes pas d’humeur à affronter un regard d’incompréhension teinté d’une pointe de commisération, qui n’est pas sans rappeler la tête que font les villageois estoniens lorsque Leemet, le dernier habitant de la forêt, évoque son monde devant eux. Le problème est que vous ne connaissez pas la langue des serpents et vous ne pouvez donc pas appeler une vipère royale ou une louve à la rescousse pour, au choix, empoisonner l’incrédule ou vous enfuir à dos de louve.
Dans ce roman, donc, malgré les ours galants (néanmoins totalement grotesques) qui séduisent les jeunes filles en leur apportant des airelles, malgré l’abondance du gibier car les animaux sauvages deviennent obéissants comme des agneaux en entendant les sifflements de la langue des serpents, les habitants de la forêt, séduits par les sirènes de la modernité, la désertent pour s’installer au village, s’abrutir derrière la charrue et s’aliéner dans l’adoration de Jésus-Christ et une admiration sans limites pour les chevaliers qui les méprisent. Mais ceux qui restent envers et contre tout dans la forêt sont loin d’être idéalisés, attachés à des traditions qu’ils ne connaissent même plus, terroristes envers ceux qui délaissent les croyances païennes, sombrant dans une cruauté aveugle ou dans l’alcoolisme.
Si vous aimez les fables et les satires merveilleuses, et si vous avez la chance de ne pas l’avoir encore lu, vous allez certainement adorer ce roman estonien paru en 2007 et traduit en Français en Janvier 2013 pour les éditions Attila avec une très belle illustration de Denis Dubois en couverture (et maintenant disponible aux éditions Le Tripode). Ce livre est un récit empreint de tristesse, mais surtout un pamphlet férocement drôle contre les fanatismes, religieux et de tout poil, une satire estonienne mais d’une portée universelle immédiate, avec une postface très éclairante du traducteur, Jean-Pierre Minaudier (également auteur de ce réjouissant éloge des grammaires, « Poésie du gérondif« ).
Il y avait encore Pirre et Rääk, les anthropopithèques, sauf qu’ils ne vivaient plus dans leur vieille caverne : Ils avaient déménagé en haut d’un arbre. Dans leur soif d’antiquité, ils en étaient arrivés à un point où même habiter dans une grotte leur semblait d’une absurde modernité. Ils voulaient remonter le temps autant que possible, car ils croyaient que toute vérité est ancestrale ; ils tenaient l’ensemble de l’évolution de l’humanité depuis l’aube des temps pour un long dérapage qui la menait tout droit au marécage.
«Tu rêves d’être valet ?» J’étais sidéré.
«Bien sûr ! Ce serait super ! Pouvoir vivre dans un château et parler avec des chevaliers qui viennent de l’étranger. Mais c’est très difficile d’y arriver : tout le monde veut devenir valet mais ils en prennent rarement parmi leurs paysans, ils préfèrent les importer : nous sommes trop nigauds et nous risquerions de leur faire honte lorsqu’ils sont en fine compagnie.»
On peut écouter une passionnante interview, en trois parties, de Jean-Pierre Minaudier ici.
Charybde7
L’homme qui savait la langue des serpents d'Andrus Kivirähk, éditions Le Tripode
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