Mårten Lange enquête sur la disparition des dinosaures à Chicxulub
Comme tout le monde, nous aimons les enquêtes qui n'aboutissent qu'à des semi-conclusions, dessinent des hypothèses séduisantes, tournent autour du pot, laissent la question ouverte pour de futures enquêtes, interrogations, réinterprétations, dérives autour d'une vérité que le temps rend de plus en plus insaisissable. En bref, nous aimons Edgar Allan Poe (vous avez déjà cru que le coupable était le singe ?).
Il faut néanmoins avouer que c'est une passion coupable, un peu sale, puisqu'elle laisse à penser que nous aimons les arrangements avec la vérité pour peu qu'ils nous emmènent loin, ce qui serait équivalent à allumer le gaz et avaler une boîte de barbituriques en écrivant un dernier haïku pour un journal. Nous sommes donc beaucoup plus tranquilles en vous confessant un faible pour Chicxulub, le livre de photos du suédois Mårten Lange, qui est parti au Mexique essayer de faire le travail de l'équipe de Crime Scene Investigation sur la scène d'un crime de masse d'une ampleur inouïe, jamais égalée depuis, puisqu'il a fini par effacer de la Terre, où ils prenaient pour certains beaucoup de place, la race entière des dinosaures (qui contrairement aux Gaulois n'étaient pas les ancêtres de l'Homme, mais n'en avaient pas moins le droit de vivre). Le grand tort de cet événement notable dans l'histoire de la planète Terre est de dater un peu (selon les savants, 66 millions d'années, autant dire que beaucoup d'eau serait passée sous les ponts avant le passage du photographe, si la scène du crime n'avait pas été un désert - bien pratique, évidemment- à moins qu'elle ne le soit devenue après, ce qui est toujours possible, le crime payant quelquefois.
Que s'est-il passé, ce jour-là, à Chixculubb ? (voix de Pierre Bellemarre) La journée avait commencé pareille à toutes les autres : les dinosaures prenaient leur petit déjeuner par ordre de grandeur, du plus grand au plus petit, comme chaque matin que Dieu n'avait pas encore fait (rappelons qu'Adam et Eve n'étaient pas des dinosaures), quand s'écrasa sur la terre un énorme météore, choc qui déclencha des catastrophes climatiques en chaîne dont ni l'Apocalypse, ni Nicolas Sarkozy, ni Donald Trump n'ont jamais conçu l'idée. Total : bye bye dinosaures, ce qui ouvrit la voie aux porteurs de mamelles et suceurs de lait dont nous sommes. Face à la scène du crime, quelque part dans le Yucatan, Mexique, le photographe suédois, tout à son idée, fut quelque peu désemparé de voir que le temps passé avait si bien effacé les traces qu'il eût falli être capable de photographier un impact qui se trouvait maintenant, d'après les géologues, un kilomètre et pas mal de poussière sous la surface du sol version 2016.
Comme quoi les grands événements laissent une trace profonde.
D'autres se seraient découragés, auraient plié les gaules, maudit ciel et terre, mais Mårten Lange a calmement considéré le pouvoir de la métaphore, du symbolisme et des rapports secrets entre les choses, et s'est souvenu à propos que la civilisation maya s'est effondrée au même endroit, la visite des ruines constituant la seule activité rentable de la région, et que la crise des subprimes de 2008 avait touché la terre entière, désert du Yucatan inclus. Son livre est donc une série parfois charmante de pistes (animales, minérales, végétales) menant à l'assassin, souvent déroutante. Nous n'aurions pas fait mieux.
Christian Perrot