Phillip Gallon - traces d'inquiétude dans une conversation américaine

Dans l'atelier photo mondial, unité de valeur Reportage, la balade en Amérique est l'exercice n°1, basé sur les travaux des géants de la profession Robert Frank, William Eggleston, ou Stephen Shore. Parmi deux bonnes dizaines d'autres. En cette année de fièvre électorale (et de pneumonie, et de mégalomanie) aux USA, le photographe allemand Phillip Gallon et la photographe canadienne Lise Latreille ont choisi, deux livres en main : Travels With Charley de John Steinbeck et Field Guide To Getting Lost de Rebecca Solnit, de rouler droit devant eux, et de s'arrêter là où l'envie leur en viendrait. Tout simplement. Ils ont donné à l'album-photo qui résulte de cette errance d'un européen (on pense naturellement à quelques films de Wim Wenders) et d'une nord-américaine, mais étrangère aux USA, le titre, un peu mystérieux mais beau, de An Anthology of Common Conversation.

Comptant sur la distance / fascination qu'induit automatiquement dans le regard d'un étranger ce mélange très particulier de dépaysement total (le Tennessee, ce n'est pas la Beauce) et d'hyper-familiarité (là on pense au Memphis vu par des japonais fans d'Elvis dans le Mystery Train de Jim Jarmusch) qu'est la découverte en vrai de l'Amérique par ses amoureux, qui en savent déjà trop, et ne s'y reconnaissent pourtant pas, un peu comme des amoureux virtuels qui auraient déjà échangé trop de mails et de photos sur Instamatic pour être abasourdis par leur rencontre, sans pour autant se retrouver face à ce qu'ils imaginaient, Phillip Gallon fait quelque part la remarque, très juste, que tout sur terre ressemble un peu maintenant à ce que nous voyons d'un pays en nous rendant sur Google Earth, ce braquage total et absolu de la banque d'images mondiale, au butin mis à disposition de tous, dont peu de gens ont remarqué qu'il changeait radicalement la perception que nous avions du monde autour de nous, et dont nous n'avions avant lui en tête que des bribes, surtout urbaines, en y incluant pour la première fois le vide immense, l'inanité des quelques bâtiments semés par les hommes, autour des routes où chemine la camionnette ultra-connectée de Google.

En y incluant l'espace, la distance, la durée, notre vision du monde entier s'est américanisée (faîtes-en l'expérience sous cet angle sur Google Earth), rapprochée de ces clichés que nous avions en tête d'une dérive d'un motel à l'autre sur la Highway 66. Il n'y a plus à proprement parler d'Amérique. A nos yeux, elle a en quelque sorte disparu en ses traits propres. D'où le peu qui en ressort, et la fascination pour l'abandon, touchant du doigt par là le Barnum mélancolique de la campagne de Donald Trump ("Make America Visible Again ?"), flagrante dans cette "Anthologie d'une conversation commune", récit photo d'un certain désenchantement devant le peu de grâce qui reste à un voyage au pays de Graceland

Voilà ce que nous en avons retenu.

Christian Perrot

http://www.philippgallon.com